Sagesse d’un pauvre


Tel un pèlerin, je cheminais dans des paysages de prairies et d’eucalyptus, traversant des villages colombiens regroupés autour de la grande place près de l’église. Un soir, je me joignis à deux jeunes moines franciscains qui discutaient en riant « De quoi parliez-vous sur le chemin ? Vous avez l’air si joyeux ? » leur demandai-je. Ils m’invitèrent à les suivre jusqu’à leur petit monastère perché sur les hauteurs.

Nous arrivâmes à la nuit tombée, on alluma quelques chandelles. Le repas, si frugal qu’il en était symbolique, se déroula dans une bonne humeur presqu’irréelle. « Là ou deux ou trois seront rassemblés en mon Nom, je serai au milieu d’eux. »

Photo ©Stan Rougier : monastère de Berruecos

Au matin, je fus réveillé par le roucoulement d’innombrables colombes blanches. Les jeunes Occidentaux vivant dans des monastères hindous diraient : « Ici, il y a de bonnes vibrations. » Le monastère semblait être la copie fidèle de celui de San Damiano d’Assise. Les moines avaient offert leur vie à Dieu. Pauvreté, chasteté, obéissance. Les forces du Mal ne trouvant aucune prise sur l’homme ne peuvent l’entraîner ni vers l’accaparement des biens matériels ni vers la réduction de l’autre au rôle d’objet, ni vers l’humiliation par excès de pouvoir. Le paradis est entrevu. L’homme se révèle enfin dans sa vérité profonde, dans une joie que rien ne peut menacer.

Photo ©coll. cartes postales Stan Rougier

Le seul prêtre du monastère était absent. Un vieux paysan dont l’époux venait de mourir vint ce matin-là le réclamer. Je partis alors pour célébrer la sépulture, accompagné d’un frère. Le périple à cheval dura quelques heures et fut rempli d’imprévus. Le frère qui avait un regard d’enfant et une tête de bandit mexicain tenait absolument à m’appeler « Sa Révérence ». En descendant de cheval, mon pantalon s’accrocha à une boucle métallique de la selle et se déchira de haut en bas. Je dis au frère : « Allez chercher une aube, je vous en prie, pour que sa Révérence soit décente. »

Tout le village était à l’église. En m’adressant à ces fidèles pour parler du lien entre cette vie et la vie future, je sentais une écoute impressionnante. Après la cérémonie, le veuf m’invita dans sa maison et me confia son chagrin, avec beaucoup de simplicité, comme à un vieil ami.

Trois jours et trois nuits dans ce monastère franciscain, balcon perché sur les Andes, c’est peu, j’en conviens. Je me disais : « Si tu restes une journée de plus, tu ne pourras plus jamais rentrer en France.  » Une paix incroyable émanait de ce silence.

Un amour plus profond que tout amour rayonnait de ces murs. La dernière nuit, dans une cellule de bois de deux mètres sur trois, je lisais ces propos : « Peut-être me suis-je trompé. Plus que d’une révolution, le monde avait besoin d’une poignée de François d’Assise ! » C’était, disait-on, une parole de Lénine sur son lit de mort !

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