- L’information sexuelle et les jeunes (Stan Rougier, Grain d’Orge, 1971)
Comme ce monde mécanique et froid déteint sur nous !… On veut tout dépoétiser.
Les reptiles des temps préhistoriques s’étaient inventé des poumons pour pouvoir respirer en quittant leur univers de marécages. De même, l’homme a inventé la tendresse. Il a transformé l’énergie sauvage, aveugle, anonyme de l’instinct et en a fait un rite de communion, un langage qui va plus loin que les mots, plus loin que les fleurs. Il a appris à dire « Je t’aime » avec son corps.
Un vent venu des États-Unis invite aujourd’hui les jeunes à regarder les choses de façon plus rentable. « Le temps, c’est de l’argent », « L’amour, c’est du sexe », « Libérez-vous de l’impérialisme culturel bourgeois par lequel on enchaîne votre sexualité. N’attendez pas demain ! »…
Le désir des corps était une fenêtre ouverte sur la rencontre, on le fait retomber sur lui-même.
La Bible nous dit : « Dieu créa l’homme à Son image : homme et femme Il le fit. » L’amour humain est le signe, l’écho, le reflet de l’Absolu qui est la clef de l’Univers. Abîmer la relation amoureuse, c’est abîmer, à nos yeux, la Source où elle plonge ses racines.
Entre le couple platonique qui accomplit froidement son devoir conjugal, et le couple d’une nuit qui se relève avec quelques commentaires dignes d’une sortie de western, je ne vois pas de différences. Tous deux décolorent l’amour. Autrefois, on anesthésiait les corps et le risque e l’angélisme était mortel. Maintenant, ce sont les âmes qui sont anesthésiées. Pourquoi s’obstiner à séparer ce qui est fait pour être uni ?
S’il n’y avait pour toute information sexuelle que des manuels décrivant avec une froideur scientifique les mécanismes de l’accouplement, quel remède contre l’amour ! Autant souhaiter faire naître des vocations de pilote en parlant d’effet primaire des gouvernes, de décrochage et d’autorotation !…
Tous les sexologues, de Freud à Muldworf en passant par Hesnard, le disent sur tous les tons : dans la sexualité, il y a bien plus que le sexe. La recherche du plaisir pour le plaisir est vouée à l’échec. L’essentiel est ailleurs. L’essentiel est la qualité de la relation affective. « L’affectivité n’est pas un luxe et le couple n’est pas une contrainte… L’amour sexuel comporte indissolublement liées l’une et l’autre la dimension tendresse et la dimension sensualité » (Muldworf). La seule chose que l’on peut reprocher à un tract « Apprenons à faire l’amour » que s’arrachent les lycéens de 1971, c’est d’avoir oublié… l’essentiel !
Pour être aimé des jeunes, certains sont prêts à leur raconter n’importe quoi… le plus facile… le plus « dans le vent », le plus subversif ou iconoclaste…, du style : « Je choque le bourgeois, donc je suis. »
Il est vrai que ce tract voulait surtout inciter les adultes à lever le voile pudique dont ils semblent s’obstiner à entourer ces réalités comme si elles étaient incongrues et dégoutantes.
Mais comme il a de la chance le jeune qui aura reçu le témoignage vivant de ceux qui s’aiment avant d’entrer dans le galimatias des descriptions biologiques !
Un enfant étouffe s’il ne grandit pas au contact de deux êtres qui s’aiment. L’amour de ses parents l’un pour l’autre est ce qu’il y a pour lui de plus vital. S’il ne les voit jamais heureux d’être ensemble, comment pourrait-il croire à l’amour ? La chair qui ne révèle que la chair est triste. On y meurt d’ennui. Rien n’est plus merveilleux que l’union sexuelle transfigurée par l’amour. Rien n’est plus décevant que l’union sexuelle sans amour.
Jamais le côté « double tranchant » de la réalité ne se révèle aussi aigu. D’un côté une réalité sans âme où les partenaires sont unis comme deux lions qui dépècent la même proie ; de l’autre, joie unique au monde, la joie donnée par l’existence même de l’être aimé… la joie de l’amour même. Toutes les autres joies viennent des choses, des réalités, des idées, des situations… celle-là seule vient de « Quelqu’un ».
Si beaucoup de jeunes mordent à l’hameçon de la liberté sexuelle, c’est parce qu’ils cherchent partout la moindre trace de tendresse. Celui qui meurt de soif, il arrive qu’il boive n’importe quoi ! Maurice Clavel avait flairé juste lorsqu’il racontait dans un film télévisé « Le soulèvement de la vie » : « Si la révolte, c’était pour exister, pour s’aimer, soi-même et les uns et les autres ? Si nos fils n’avaient mal que de la poussée de leur âme, ou de Dieu même, qui sait ?…
On va leur chercher la lune et ils ne nous demandaient que de changer la Terr et nous-mêmes… Regardez : si l’eau qui représente notre âme humaine s’épanche librement, elle est droite, calme, sereine : on la connaît, elle se connaît… Mais voici qu’à la fin, sous la pression de cette âme, qui n’en peut plus de se sentir comprimée, le doigt faiblit… le jet sera brisé en éclaboussures multiples, confuses et convulsive. Cela s’appeler violence, provocation, pornographie, délinquance, yippisme, ennui, désespoir, drogue, suicide, gauchisme… Et vous aurez beau jeu d’appeler cela des vices, d’appeler dévoyé ce que vous avez dévié. De réprimer le mal dont vous êtes la cause. Hypocrites ! Alors que c’était le début du salut et vous le saviez ! »
Nietzsche, Freud, Camus, disent qu’ils ne peuvent pas pardonner au christianisme d’avoir nié le corps. Beaucoup de chrétiens des décennies précédentes étaient très puritains, mais ce n’est pas eux qui ont inventé le puritanisme. C’était une maladie d’époque et tous n’en mourraient pas, tous en étaient frappés. Ceux qui se reconnaîtraient les enfants du Créateur, comment pourraient-ils se sentir les moins enchantés de sa Création ?
Méprise-t-il le corps, François de Sales, lorsqu’il écrit au sujet du baiser sur les lèvres : « Ils se versent leur âme l’un dans l’autre » ? L’amoureux peut dans un même acte non seulement reconnaitre le vrai visage de l’être aimé à la lumière de l’Éternité mais se reconnaître lui-même justifié d’exister. Il préparera avec plus de ferveur le monde de l’Au-delà celui qui sait à quel feu on s’y réchauffe, à quelle fontaine on s’y abreuve. Il sait que Dieu s’y connaît en matière de joies, Lui qui est la Joie à sa source.
« Alors, me direz-vous pourquoi les prêtres font preuve de dédain à l’égard de l’amour en ne se mariant pas ? » Cette question m’a toujours fait rire (pour ne pas en pleurer). Ceux qui se sont arrachés à l’amour d’une fiancée, imaginée ou réelle, l’ont fait comme le Christ s’est arraché au Ciel pour venir sur terre. Le mal avait trop d’avance. L’urgence de la Bonne Nouvelle était trop grande.
Ce saccage de l’amour qui brise tant de couples et fait mourir d’ennui tant de jeunes serait à lui seul un motif assez fort pour n’avoir plus qu’une seule passion : sauver l’amour.