Tu as été pour moi, cher Alain, l’ami le plus fidèle, le plus solide. J’étais convaincu que je partirais avant toi, question d’âge, de santé. Quand je t’ai vu décliner, j’ai eu peur. Je me suis dit que si tu partais dans l’Au-Delà, ce ne serait pas pour chômer, pour continuer à faire ce que tu as fait, ce serait pour nous donner à tous le goût d’exister, à plein, comme toi. Lorsque je t’ai connu, tu avais de grandes douleurs, je les ai partagées, si fort que nous nous sommes liés d’amitié
Tu étais, Alain, un maitre de chœur original et chaleureux. Tu n’as cessé de dire : « Dieu rêve de nous rejoindre. Si vous ne croyez pas en Lui, Lui, Il croit en vous. En chacun et chacune d’entre vous. Il nous cherche, ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas. Il nous fixe des rendez-vous dans notre joie ou dans notre peine, dans le silence ou dans nos peurs, dans nos ruptures et dans nos pardons, dans nos tendresses pour nous dire combien Il nous aime et qu’Il nous a créés pour un bonheur sans mélange qui n’aura jamais de fin. »
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Je rends grâces à Dieu de t’avoir mis sur mon chemin, mon cher Alain. Tu m’as rendu au centuple ce que je t’ai donné. Je t’ai remonté le moral dans des moments de déprime, c’est vrai, mais j’ai surtout réalisé à quel point j’avais besoin de ton aide à toi.
Lors des camps de jeunes que animions ensemble, une grande latitude était laissée à la spontanéité de la vie autour de quelques grandes lignes. Notre premier souci était une disponibilité, une attention à Dieu. Nous proposions aux jeunes de partir à la découverte de tout ce qui est signe de Dieu en eux-mêmes et autour d’eux : beauté de la création, rencontres, événements et saveurs du quotidien, cœur à cœur avec Dieu dans la Nature, le silence. « Nos paysages intérieurs sont encore plus beaux que les merveilles de l’Univers » disais-tu volontiers.
Tu as accompli à la perfection l’aide logistique (recherche et location des lieux, ravitaillement, transports…) que j’attendais de toi et même bien davantage. Tu m’as épaulé pendant 15 ans, 2 ou 3 camps par an. Tu as compris comme personne la nécessité d’être bienveillant et de faire une place aux besoins spirituels de chaque jeune. Je pense à ta merveilleuse attitude à l’égard d’une jeune fille kleptomane que son père avait inscrite à un camp de Pâques dans le Larzac, avec cette injonction : « À la première bêtise, vous me la renvoyez aussitôt ! » –« Pas question ! », avais-tu répondu. Quand, trois jours plus tard, la police a trouvé sous son matelas les 8 autoradios qu’elle avait volés, tu t’es opposé à ce qu’elle soit emmenée. Tu avais compris sa blessure intérieure, tu as redoublé d’attention et d’écoute. Et tu l’as sauvée !
La soif d’amour qui habitait ton cœur s’est exprimée avec ces jeunes dans les camps d’une manière unique. « Si tu dénoues les liens de servitude, alors ta lumière sera lumière de midi… » proclame Dieu au livre d’Isaïe. Et les rires enchantaient les veillées, les randonnées, les échanges… et résonnaient encore dans les méditations, dans le silence de l’adoration.
Tu m’écrivais plus tard : « Notre rencontre s’est multipliée de mille jeunes… » « Pour moi, révélait l’un d’eux, avant un camp, parler de Dieu, c’était comme parler à une botte de foin… Au camp, j’ai découvert que c’était parler avec Quelqu’un » Comme dit Picasso : « Le peintre, le poète et le mystique cherchent la cachette de Dieu. »
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Un jour, cher Alain, tu me confies, émerveillé comme le Ravi de la crèche : « J’ai touché Dieu par miracle. En trois secondes, il m’a redonné la vie. Dieu m’a enflammé d’une joie encore inconnue : la joie de L’aimer et d’être aimé de Lui. Tout déchiré que j’étais je me suis trouvé recousu… « Mets là ton doigt, Thomas…. Les plaies d’amour ne se referment jamais. Elles donnent la vie… Mets là ton doigt, Alain. »
« Dieu est le plus court chemin d’un être à un autre. Si je devais figurer notre rencontre, je dessinerais un arbre. » Qu’un curé puisse croire en Dieu, cela ne surprend personne, mais que toi, laïc, ingénieur, tu fasses à Dieu la première place, quel miracle ! Quel choc !
Si je devais te définir en trois mots, cher Alain, je dirais :
« Joie de croire »
« Joie de vivre »
« Joie d’aimer »
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Il y a une dizaine d’années, tu m’écrivais : « Il ne se passe pas un jour sans que ce que nous avons vécu tous les deux ne vienne m’habiter. C’est un des plus beaux cadeaux que Dieu m’ait fait. Et souvent, là maintenant, des larmes de joie m’en viennent en reconnaissance. Je vais te faire une confidence : je vis en permanence dans l’amour de Dieu, tout naturellement, et cet amour se propage tout seul à ceux qui m’entourent. Et quand je me retourne, un vertige me prend : que serais-je aujourd’hui si j’avais raté ce jour béni où Dieu nous a mis, toi et moi, dans Sa main ?
“Au soir de notre vie, nous serons riches de tellement de visages !” La prophétie s’accomplit : la richesse déborde, inéluctable… c’était sa destinée… Notre richesse nous dépasse. Ce que je ressens me dépasse… Il nous faudra l’éternité pour tout comprendre ! »
« Quant à mes enfants, je sens avec un bonheur suprême qu’eux et moi, y compris mes petits-enfants, et eux entre eux, et leurs conjoints, nous sommes liés d’un amour profond qui déborde envers les autres.
Ce n’est pas sans rapport avec ce que je suis devenu moi-même, après t’avoir rencontré et avoir vécu cette aventure des camps. Ça aussi je le rends à Dieu. Dieu, que jour après jour, mois après mois, tu m’as conduit à aimer, passionnément. J’avoue que je ne savais pas que l’on pouvait aimer Dieu à ce point-là. »
« S’il t’arrivait malheur, Stan, me disais-tu dans une de tes dernières lettres, ou si tu partais avant moi, je sens que me sauteraient au visage les liens du cœur… je le sens, là, maintenant…dans une émotion qui ne peut se dire…
Cette émotion, très cher Alain, est aussi la mienne puisque c’est toi qui t’es précipité le premier dans les bras de Jésus.
La si petite graine de moutarde qui devient un grand arbre où viennent se nicher et chanter les oiseaux du Ciel… C’est la page d’Évangile que j’aime ouvrir pour éclairer ton départ vers la Maison de notre Père.
Je t’embrasse et je te bénis, toi, ami éternel, toi, mon ami pour l’éternité, (comme nous nous nous appelions),
À Dieu, Alain, si cher au cœur des présents cet après-midi comme de ceux et celles qui n’ont pas pu venir jusque-là aujourd’hui.
Ce n’est qu’un Au-revoir !
Stan