Journal d’un novice


Recension de Bertrand Devevey, 15 juin 2018

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Il gagne vraiment à être connu

JOURNAL D’UN NOVICE

De Stan Rougier

Editions Salvator – 333 pages

Critique

Salvator Editions

LU / VU par

BERTRAND DEVEVEY

THÈME

 

THÈME

Avant d’être un prêtre engagé à l’énergie communicative, Stan Rougier a été un jeune homme comme les autres. Dans les débats idéologiques de la fin des années 50, entre décolonisation de l’Algérie, retour à la terre, engagement au service des plus pauvres ou encore défense de la cause ouvrière, il découvre le grand amour dans sa relation avec Sarah, jeune catholique engagée comme lui. Quel chemin choisir ?

©Stan Rougier coll. cartes postales

Celui de l’amour humain, et fonder une famille avec elle, ou celui de l’amour de Dieu, pour semer dans le cœur des hommes une espérance plus grande que sa propre vie ? C’est ce débat intérieur que Stan Rougier va tenter de trancher dans une retraite d’un an au noviciat dominicain de Lille afin de décider de la voie la plus juste. 

Ce livre est le véritable journal intime, dialogue entre lui et Dieu écrit entre 1957 et 1958, pendant ce séminaire, « 10 à 30 minutes par jour » ! Il y raconte son voyage intérieur, ses doutes, ses échecs, ses joies, sa foi, ses choix qui se dessinent.

POINTS FORTS

1- Ce livre est un témoignage authentique sur un choix de vie emprunt des questionnements de son époque – l’apogée des 30 glorieuses dans un monde qui change (ouverture internationale, décolonisation, « nouveau » prolétariat et déchristianisation) – et vivant des doutes d’un jeune homme à la foi enracinée au corps, mais qui s’interroge sur le bien fondé de ses choix.

2- Ce témoignage est terriblement humain. Stan Rougier l’analyse dans un intéressant prologue, né de la relecture de ce  journal écrit près de 60 ans plus tôt. L’amour de Sarah est là, et l’amour de Dieu, l’envie de le servir, le dilemme entre la vie humaine et la spiritualité, entre l’amour pour une femme et l’amour de tous les être humains sont là aussi ! Ce récit en montre les déchirements – il dévoile une démarche qui peut sembler un sacrifice  mais qui s’avère un choix véritable.

au noviciat dominicaine de Lille, 1957

3- Ce « journal » témoigne aussi des débats de l’époque (bien souvent tus) sur l’engagement religieux, le célibat des prêtres, la sévérité ou le manque d’ouverture des hommes d’église, la place donnée aux rites religieux au détriment du message évangélique… réflexions précurseurs d’une évolution que l’église catholique opérera dans l’aube du 21ème siècle.

4 – Et l’on y croise aussi, très souvent cités, ses « pères inspirants », Catherine de Sienne, Antoine de Saint Exupéry, Paul Claudel, Georges Bernanos…

QUELQUES RÉSERVES

1- Être témoin d’un dialogue entre un homme (certes exceptionnel) et Dieu est un exercice inhabituel et déconcertant pour certains -dont je fais partie- ! En revanche, la sincérité et la sensibilité du propos, la finesse de l’observation du comportement des hommes et des institutions révèlent l’homme intelligent, authentique et sincère qu’était et que demeure Stan Rougier.

2- Journal intime oblige, bien des questionnements sont récurrents. Le lecteur éveillé en décodera les nuances et les évolutions au fil des pages.

ENCORE UN MOT…

La révélation » de ce journal intime est à replacer dans le contexte du parcours de Stan Rougier. « Baroudeur » infatigable du message d’amour du Christ, il a parcouru la terre entière tout en restant aumônier, prêtre diocésain, « prêcheur » et conférencier. S’il n’a pas pris de hautes responsabilités ecclésiastiques, il est une figure marquante de l’église de France, reconnu par tous pour son humanité, la force et la simplicité du message de fraternité qu’il délivre aux non croyants autant qu’aux croyants. 

Prédication d’une retraite à Papeete

Ce livre dévoile un pan de sa personnalité et éclaire sur ce qui a déterminé son parcours. Il explique aussi la puissance de sa conviction et de son charisme. 

Ce livre est une contribution utile pour toutes celles et ceux qui se sont posés un jour, ou se posent aujourd’hui, la question du sens de leur vie et d’un engagement religieux.

UNE PHRASE

– « Depuis l’âge de 12 ans, mes amies de cœur ont constamment occupé mes pensées. […] C’est dans le sillage de leur amitié que j’étais ébloui de vivre. 

Saint-Jean de Luz, 1948

Avec la rencontre de Sarah, cet envoûtement est devenu un projet concret, une aventure envisageable. L’impossibilité apparente de le jumeler avec un apostolat n’a fait que le grandir à l’extrême. Cet élan fut sublimé dans une relation avec Celui qui est l’inventeur de cet amour. » (p. 35, Prologue)

– « 20 novembre
Perdre le sens de la place du prêtre, c’est perdre le sens de Ta présence. Les prêtres sont les jardiniers des relations des hommes avec Toi. Paysans, ouvriers, enseignants, fonctionnaires, écrivains… doivent découvrir comment s’unir à Toi. C’est la priorité des priorités, l’urgence véritable. » (p. 55)

– « 26 décembre
Emmanuel Mounier, Georges Bernanos, Antoine de Saint Exupéry, tous trois mariés ; ils m’ont donné le goût de Te connaitre, mieux que bien des prêtres célibataires. » (p. 81)

– « 11 juillet
Avec Sarah, je cherchais à vivre au rythme de son cœur et de ses pensées. Avec Toi, Dieu bien aimé, cela est semblable à la puissance mille… « Au centuple », dit l’Evangile. (p. 227)



– « 15 avril
J’ai rencontré avec certains éducateurs et certains prêtres une attitude qui nous abime : on veut nous faire entrer dans des moules tout faits d’avance, brevetés, « ayant fait leurs preuves ». Vous n’y entrez pas, tant pis pour vous ! Restez dans la marge ! Peut-être était-ce « en toute bonne foi » ? Mais où donc était l’amour ? (p. 154)

L’AUTEUR

On dit de lui qu’il est, depuis un demi-siècle, « un accompagnateur de la joie ». Éducateur de jeunes, infirmier, séminariste, prêtre, aumônier de lycées, journaliste, écrivain, le Père Stanislas Rougier – Stan pour tous – est une personnalité hors norme. 

Stan, infatigable nomade de l’Eternel

Chroniqueur pour le Journal La Croix, prédicateur sur France Culture et France Télévision, invité de BFM TV, de Canal Plus, Radio Notre-Dame, conférencier, engagé dans le dialogue interreligieux et insatiable voyageur (plus de 80 pays) il semble avoir plusieurs vies.

Aujourd’hui en retraite, il est l’auteur, à 93 ans, de 47 livres. Son premier, L’avenir est à la tendresse, publié en 1977, est le plus connu. 

Son dernier, en collaboration avec Béatrice Guibert : « Prier 15 jours avec Antoine de Saint Exupéry (2023, Nouvelle Cité)

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