Routard de l’Espérance (2)


Deuxième partie

La joie, c’est d’accomplir ce pour quoi on existe

  • Le mal peut-il être vaincu au quotidien ?

Je rencontre tous les jours des gens qui ont perdu la foi suite à telle ou telle épreuve. « Ma fille se drogue… Mon mari est alcoolique…Mon mari m’a trompé… Mon compagnon me frappe… Le père de mes enfants a violé nos enfants… Pourquoi Dieu permet-Il cela ? Dans ces circonstances, on a du mal à affirmer que Dieu est amour. Dieu tout-Puissant n’aurait-Il pas pu éviter ce drame ?

Notre Dieu a fait de nous des créateurs, avec Lui. Nous sommes des gens majeurs et vaccinés. Je cite volontiers cette prière d’un écrivain musulman : « Tu fis la nuit, je fis la lampe. Tu fils l’argile, je fis la coupe. Tu fis le désert, je fis le jardin. »

Si l’homme ne répond pas à l’amour de Dieu, cela va générer du désordre. Les microbes attaquent le corps dont la défense est désorganisée. Là où il y a du désordre, il y a des accidents.

  • Est-ce par amour que Dieu laisse l’homme aller à sa perte ?

Souvenez-vous de Jésus face à l’homme aveugle. La gloire de Dieu, c’est la guérison, non l’infirmité ! Souvenez-vous aussi de l’épisode de la tour de Siloé : il y a pire que mourir, il y a perdre son âme. Le drame, c’est mourir dans la peau d’un salaud…

De nombreux psaumes s’interrogent sur cette question. Pourquoi le méchant réussit-il ? Pourquoi le juste souffre-t-il ? À partir de Jésus Christ, la question va se poser différemment. Dieu veut pour nous le meilleur, mais jamais Il ne nous privera de notre liberté. Il y a des hommes qui nous veulent du mal mais Dieu nous aidera à tirer un bien de ce mal.

©coll. cartes postales Stan Rougier
  • Pourquoi donner autant de conférences ?

C’est un « sport » que je pratique en moyenne deux fois par semaine, dans le monde entier, parfois avec des traducteurs. Je travaille en même temps pour le Jour du Seigneur et France Culture. Lorsque j’écris, je suis dans mon élément. On dit parfois sur un ton condescendant : « Stan Rougier, c’est de la littérature pour les jeunes ! » On le disait aussi de Camus et de Saint Exupéry !…

  • Les jeunes sont-ils plus sensibles que les autres à vos prédications ?

Hier, je rencontrais trois cents élèves de Terminale. On pouvait entendre une mouche voler. C’était à Tigery, avec les lycéens de Passy-Buzenval. Leur écoute était fascinante. On m’avait demandé un « témoignage de foi ». Je parlais selon mon cœur en leur faisant miroiter la beauté du chemin de Dieu, des choix qui engagent leur avenir. « Vos parents vous ont fait naître. Vous êtes maintenant en train de vous inventer ! Serez-vous des êtres généreux ou des égoïstes ? À vous d’en décider ! »

Le grand malheur de notre civilisation, c’est qu’elle produit des gens capables d’être en même temps des hommes cultivés et des salauds.

  • Vous êtes un écrivain prolifique. Quel rapport entretenez-vous avec vos lecteurs ?

Justement, j’ai dans ma sacoche une lettre que je n’ai pas encore eu le temps d’ouvrir… Vous permettez que nous la lisions ensemble ? « J’ai lu votre livre Au commencement était l’amour. J’ai lu d’un seul jet. Je m’y retrouve après toutes ces années de galère. Les églises sont désertées, les chrétiens se plaignent, les catéchistes vieillissent, les enfants sont d’une autre planète. Vous nous aidez à regarder pour voir ce qu’il y a de beau et pour savoir ne pas se prendre au sérieux. Votre livre me rassure.

Je reçois une dizaine de lettres chaque jour. Elles posent souvent les mêmes questions : « Comment affermir sa foi ? », « Pourquoi le mal ? », « Pourquoi la souffrance ? », « Vous passez à la télévision. Votre message est-il celui de l’Église ou le vôtre ? », « Vous vous lancez dans le marketing au service de l’Église. Pourquoi ? », « Le célibat des prêtres ? » …

  • Recevez-vous des confidences de vos lecteurs ?

Beaucoup. Un exemple récent que je vous livre. « Élevé chrétiennement, j’ai perdu le contact avec les représentants de l’Église. J’ai 82 ans, il serait temps pour moi de renouer avec l’Église. J’ai enfin compris que je ne pouvais pas me débrouiller seul. La foi n’est pas une certitude. C’est un choix de vie reposant sur une espérance. »

Le témoignage de ce vieil homme est poignant : « Ma démarche n’est pas inspirée par la trouille de l’enfer. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. J’ai des problèmes que je ne sais pas résoudre. La prière, pour moi, c’est jeter une bouteille à la mer… Sans avoir de retour ? Si j’ai bien compris, le Christ, après son départ nous a laissé des hommes pour le représenter. Et vous en êtes ! J’aurais tellement de choses à vous demander ! »

Prenons les jeunes rencontrés hier par exemple. Il étaient 300, il y avait 250 questions. Par exemple : « Quel sens peut-on donner à la vie ? », « D’où vous est venue la foi ? », « Comment avez-vous eu l’idée de devenir prêtre ? » … La joute a duré deux heures.

Photo ©Stan Rougier lycée d’Enghien

Être jeune, c’est quelque chose de risqué. À 14 ans, je me suis fait sauter un percuteur de grenade entre les doigts. J’allais jouer dans les blockhaus. J’ai perdu une phalange. J’ai pris des éclats plein la figure. J’ai failli rester aveugle, au sens propre et au figuré. Le jeune, c’est un champ de mines.

  • Vous parlez beaucoup d’amour, n’est-ce pas un terme équivoque ?

Des mots comme justice et liberté sont aussi démonétisés. Il nous faut aller chercher des synonymes chez les poète. La charité et l’amour ? C’est la tendresse, nous dit Jacques Brel. En hébreu, le mot est « Rahamim », c’est-à-dire « entrailles de miséricorde », « matriciel » !

Photo ©Stan Rougier : Maman amérindienne Maya

Aimer, qu’est-ce que cela veut dire ? Il faut se méfier des contrefaçons. Que Dieu soit le grand manitou derrière les galaxies, cela ne passionne pas grand monde. Si Dieu nous aime, c’est autre chose. Mais qu’est-ce qu’aimer ? Prévert se moque de nos amours humaines :

« Tu dis que tu aimes les fleurs et tu les coupes,

tu dis que tu aimes les oiseaux et tu les mets en cage.

Quand tu dis ‘Je t’aime’, j’ai peur. »

Vous avez raison, tout ce que nous appelons amour n’est pas Dieu.

  • Que nous apprend le Christ sur l’amour ?

Le Christ définit l’amour par sa vie, ses gestes, ses paroles. Si tu veux savoir aimer, regarde Jésus. « Soyez comme votre Père qui fait briller son soleil sur les crapules comme sur les saints, qui fait tomber la pluie pour les malfaiteurs et les carmélite. Ce que le soleil et l’eau sont pour les plantes, nous devons l’être pour le prochain. Dernièrement, j’ai planté 15 rosiers dans mon petit jardin. Pourquoi ? Pour avoir cette parabole sous le nez. Mes rosiers vont crever si je ne les aime pas. Aimer quelqu’un, c’est l’aider à épanouir tous ses pétales, à trouver son enracinement dans la meilleure terre.

  • N’est-ce pas un peu idéaliste ?

C’est réaliste. À quoi pense celui qui n’aime pas ? « Je veux te faire de l’ombre, je veux que tu te dessèches sans eau ni lumière. » L’arme secrète de Satan, c’est le dénigrement. Satan est l’accusateur par excellence. Il passe son temps à dénigrer. Nous nous laissons souvent posséder par lui. Nous dénigrons à notre tour.

Celui qui se voit laid dans les yeux des autres ne développera pas ses ressources. Il restera comme un rosier stérile. On l’accusera de plus en plus et il obtiendra de moins en moins son compte d’amour.

  • À quoi ressemble votre agenda en 2004 ?

Pour les invitations, c’est à la fortune du pot. Je me refuse à mobiliser mon agenda trois ans à l’avance. Qu’est-ce que je peux savoir sur 2004 ? Mes thèmes de prédilection vont ressembler aux thèmes de mes bouquins. Mes conférences 2003 portent sur le Visage de Dieu. En quoi Jésus nous délivre des fausses images de Dieu ? Mon plus grand bonheur, c’est de revoir des jeunes qui ont pris goût à Dieu durant nos rencontres. Ils se souviennent de nos entretiens passés. « Reprenons un peu de carburant ! » Ils disent que je suis un sourcier.

  • Comment devient-on un prêtre médiatique ?

Patrick Poivre d’Arvor, Mireille Dumas et beaucoup de personnalités des medias m’ont invité. On avait demandé un jour au père Stanislas Lalanne de participer à un plateau comme représentant officiel de l’Église. Il était absent. Quelqu’un a chuchoté à l’oreille de Mireille Dumas : « Demande à Stan Rougier. Il est dans la catégorie des grands témoins. »

  • La télévision peut-elle devenir un instrument d’apostolat ?

Avec Mireille Dumas, les conditions ne pouvaient être pires. J’avais devant moi cinq personnes qui s’en donnaient à cœur joie pour tirer leurs tomates contre l’Église. J’étais catalogué comme le représentant de l’institution politique, etc. Un journaliste de Charlie Hebdo vitupérait contre les curés avec une extrême violence. J’ai répondu en le regardant dans les yeux : « Vous avez dû beaucoup souffrir pour manifester une telle blessure. »

Photo ©Stan Rougier : Inde

Un silence s’est fait sur le plateau. J’avais beaucoup prié. On est inspiré dans ces moments-là !

  • Cette expérience est-elle utile ?

J’ai reçu plus de cinq cents lettres après l’émission. « Vous avez su garder un ton juste, sans être déstabiliser par les critiques », « Vous avez montré beaucoup d’amour pour ceux qui vous méprisaient » … Je n’étais pas préparé à ce genre d’émission. On a beau savoir que sur sept heures de prises de vues, seulement une heure est diffusée à l’antenne, la frustration est grande. J’ai eu l’impression, justifiée je crois, d’être un peu plus coupé au montage que les autres. Certains téléspectateurs ont râlé en me reprochant ma discrétion. L’important pour moi était de témoigner : « Allez-vous en sur les places et les parvis… »

  • Témoigner de Jésus Christ, est-ce votre idée du bonheur ?

D’une certaine manière, je me fiche du bonheur. Notre vocation, c’est de nous donner à fond. Jonathan le goéland est-il heureux quand il vole ? Moi je ne peux rien faire d’autre que d’annoncer Jésus Christ.

Photo ©Stan Rougier

Les Béatitudes parlent du bonheur. Mais pas du bonheur selon la société marchande. Le Christ ne dit pas : « Heureux les doux ! » mais « Ils sont en marche les doux. » « Ashrey », tel est le mot hébreu utilisé par Jésus. C’est un mot qui veut dire : se réaliser, s’accomplir ». La joie, c’est d’accomplir ce pour quoi on existe. Lorsque je m’adresse à des centaines de jeunes, j’éprouve une immense joie.

  • Dans Au commencement était l’amour, vous parlez de notre vie après la mort. Pourquoi ?

Dans une conférence à Lyon, tout récemment, j’ai terminé en chantant un Negro Spiritual sur la vie éternelle. Pendant neuf mois, dans le ventre de maman, je me suis composé un cœur, des poumons, un cerveau. Je suis arrivé à 72 ans. Si je meurs demain matin, j’aurais vécu mon plein. Mais je ne serais pas mécontent de continuer ! Je n’ai pas écrit tous mes livres !…

  • Croyez-vous aussi au purgatoire ?

Purgatoire : le mot évoque la purge des radiateurs. On purge ce qu’on n’emportera pas au paradis : la cruauté, la dureté, ce qui n’est pas en phase avec l’amour. Tout cela, il faudra l’extraire de nous. Le purgatoire ressemble à une longue retraite. Il y a le souvenir de notre passé, la souffrance des jugements durs portés sur les autres. En revivant les événements du passé, nous devenons lucides sur le chagrin que nous avons pu provoquer. Après seulement nous entrerons dans une vie hors du temps, comme nous le promet l’Apocalypse au chapitre 21.

Il n’y aura plus de souffrance, plus de deuils, l’amour seul, sans rien qui puisse le diminuer. Je me régale déjà en y pensant !

Brassens est d’accord avec moi. Il ne comprend pas la peur de leur propre mort chez les chrétiens. Pourquoi les fidèles sont-ils tristes si la mort c’est le départ vers le Bon Dieu, si c’est un nouveau genre de vie et du super ?

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