Dieu regarde le cœur


HOMÉLIE DU PÈRE STAN ROUGIER

Espelette, à l’occasion de la Fête du piment, 24 octobre 2010

À propos du petit ennui de sono que nous venons d’avoir, on raconte que lors d’une grand messe avec un évêque, il y avait 2 000 personnes devant lui et la sono ne marchait pas ; il tapotait sur le micro… L’évêque a alors écarté les bras en disant : « On a des problèmes avec la sono ! », et toute l’assemblée a répondu : « Et avec votre esprit ! »

Puisque vous semblez apprécier les petites histoires, en voici une tout à fait réelle à propos du texte d’Évangile d’aujourd’hui : j’avais l’habitude de demander aux jeunes du catéchisme ce qu’ils avaient compris et retenu du texte que nous venions de lire ; nous avions lu le texte sur le pharisien et le publicain. J’ai trouvé le papier suivant : « Jésus aime beaucoup les républicains et déteste les parisiens » ! Comme quoi, il faut bien traduire les textes… c’est un peu le but de l’homélie.

Dans le désert du Sinaï – Photo ©Stan Rougier

Je suis très heureux d’être invité à cette fête aujourd’hui. Merci au Père Sébastien de m’accueillir. C’est très rare un curé qui laisse à un confrère étranger le privilège de s’adresser à son peuple.  Mais je ne suis pas tout à fait un étranger ; je suis né dans ce pays et j’ai passé la moitié de mon enfance et de ma jeunesse à Saint-Jean de Luz. Puis je suis parti bourlinguer dans pas mal de pays mais je reviens ici chaque année et je suis ravi d’être là aujourd’hui.

C’est grâce à la foi prodigieuse des habitants de ce pays que je suis devenu moi-même croyant.  Enfant, j’accompagnais mon grand-père aux vêpres tous les dimanches après-midi dans l’église de Saint-Jean de Luz. Et il me parlait souvent de Dieu. Quand on partait à la pêche au thon, nous parlions souvent de Dieu sous les étoiles ! Il y a dix jours, à Cambo, une chorale présentait des chants basques. Une femme a ouvert la soirée en disant : « Nous autres Basques, nous sommes des croyants. Nous allons commencer par une prière. » 

Vous savez que le sens de l’homélie, c’est de nous aider à accueillir les textes de la Bible, leur permettre d’éclairer notre quotidien. Ce n’est pas un savoir théorique dans la tête, c’est dans le cœur que Dieu veut qu’on Le rejoigne. Ces textes sont nombreux. Il y en a cinq différents. Pour ne pas trop prolonger, je vais me contenter de commenter un seul verset : « Dieu ne regarde pas les apparences, Il regarde le cœur. Dieu sonde les reins et les cœurs. » Ce verset donne le sens de l’histoire qui suit : la parabole du pharisien et du publicain. Le pharisien avait une vie apparemment parfaite, impeccable, il donnait tout l’argent qu’il fallait au denier du culte…, mais il était atteint de ce qui aux yeux de Dieu est la pire faute : le jugement. Combien de fois Jésus a-t-il répété : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés »… Juger, c’est se mettre à la place de Dieu. Que savons-nous des autres, de ce qu’ils ont vécu, de leurs épreuves, de leurs blessures ?

Jésus invite toujours à purifier notre regard, « Comment regardes-tu ? ». Jésus nous invite à ne pas nous laisser impressionner par les grandeurs apparentes. Personne, sauf Jésus, n’avait remarqué des gens apparemment insignifiants. Je pense à la générosité d’une pauvre veuve qui, en donnant un sou, avait donné tout ce qu’elle avait. Personne, sauf Jésus, n’a regardé la noblesse de cœur d’une fille de rue dans un banquet chez Simon le pharisien. Elle le compromettait gravement. Jésus a vu le diamant tombé dans cet égout. Ce verset : « Dieu ne regarde pas les apparences » est d’une importance capitale. Quelle merveille, ce regard de Jésus. Le suivre, c’est donner du piment à notre quotidien. « Vous êtes le sel de la terre », dit Jésus.

C’est tous les jours que nous risquons de « passer à côté » de l’essentiel… Vous êtes-vous parfois demandé : « Qu’est-ce que je fais sur cette planète ? »… Dieu nous le dit tout au long des 73 livres de la Bible : « Nous sommes là, mis ensemble, sur un territoire assez limité pour avoir des occasions de rencontres, et assez différents pour découvrir ce miracle : un regard bienveillant. Au soir de notre vie, nous ne serons riches que des liens que nous avons tissés. Nous sommes en stage d’amour sur cette planète. Nous apprenons à regarder, à admirer, à reconnaitre le Seigneur endormi caché dans sa gangue. 

Il ne s’agit pas de nous dire : « Le voisin, qu’est ce qu’il en prend ! » Cela s’adresse à chacun, au prédicateur aussi…

Certains après 70 ou 80 ans de stage continuent à juger… D’autres comme Thérèse de Lisieux ou Bernadette de Lourdes ont tout compris à 10 ans… Comme le chante Brassens, le temps ne fait rien à l’affaire…

Au soir de notre vie, il ne nous sera pas demandé : « Combien de pays as-tu visité ? », « Combien d’argent as-tu ramassé ? », « Combien de livres as-tu écrit ? », mais une seule question nous sera posée : « De combien d’êtres as-tu reconnu la beauté intérieure ? À combien d’êtres disgraciés, apparemment sans envergure, as-tu fait découvrir leur beauté intérieure ? » Je me souviens de cette jeune fille qui avait reçu une charge de fusil de chasse dans le visage. Elle n’avait plus de visage. Mais c’était une belle âme.

Ce que je vous dis ce matin, puissiez-vous le méditer au long de cette journée et vous verrez que le piment de la Parole de Dieu a de quoi mettre du feu à votre vie. Ce sera la fête du « piment spirituel ». Car il ne s’agit pas de réussir dans la vie, mais de réussir sa vie. Sans le piment de l’amour, une vie est terne, sans couleur, ennuyeuse, sans saveur… Combien de jeunes, quand ils voient leur père qui rentre avec le grand air du bureau sur les épaules, me disent : « J’ai pas envie de grandir, je marche à reculons. »

Soyons attentifs. Un jour dans ma jeunesse je regardais deux petites filles sur une plage de la baie de Saint-Jean de Luz, du côté de Sainte-Barbe. L’une d’elle ramasse un coquillage. L’autre lui dit : « Fais attention, il y a quelqu’un dedans ! ». Lorsque nous regardons un être humain, nous sommes fascinés par les apparences, qui quelquefois peuvent nous paraître étranges : « Tu as vu ce comportement ? », « Comme celui-ci a l’air mal dans sa peau ! », « Comme celle-là est vulgaire »… et nous passons soit à côté d’un trésor offert par Dieu, soit à côté d’un être blessé qui attendait un simple regard de compassion ou de tendresse.

« Au soir de notre vie, nous ne serons jugés que sur l’amour », dit Jean de La Croix, notre voisin d’Espagne.

Jean de La Croix, notre voisin d’Espagne

Un de ceux qui m’ont le mieux enseigné ce que je vous dis là est un homme que vous connaissez tous… au moins vous, les habitants d’Espelette. Il se nomme Roger Etchegaray. Cardinal, il fut le bras droit du pape Jean-Paul II. Il fut envoyé sur tous les coins chauds de la planète pour réconcilier, pour apaiser, pour trouver une issue à des problèmes difficiles : la Chine, l’Irak, le Rwanda, Cuba… Je vous conseille de lire ses nombreux livres sans oublier le dernier, tout récent :  J’ai senti battre le cœur du monde. Heureux le village qui a vu grandir un tel apôtre de Jésus Christ ! En terminant, je vous donne la définition de l’Église qu’il a donné un jour à la télévision : « l’Église est une réserve de cœur où tout homme sait qu’il sera accueilli, reconnu, non jugé, pardonné, aimé follement. »

Maïté saïtoustète[1].


[1] En basque : « Je vous aime tous. »