Heureux qui sait rire de lui-même…


« Heureux qui sait rire de lui-même, il n’a pas fini de s’amuser ! »

©Stan Rougier : la joie des années aumônerie

Ce texte dessiné en gros caractères sur le mur de l’aumônerie et la photographie d’un lycéen hilare qui l’accompagnait ont souvent ramené nos conflits à ce qu’ils étaient : une tempête dans un verre d’eau.

Certains théologiens s’interrogent gravement : « Jésus a-t-il ri, oui ou non ? » Il ne semble pas facile, sans un brin d’humour, de concilier le « Malheur à vous qui riez maintenant… » et le « Je suis venu vous apporter ma joie dans sa plénitude… »

Le Christ déboulonne toutes les idoles qui se prennent pour l’Absolu : Pouvoir, Argent, Shabbat… Par là même, il désarçonne nos vanités. « Dieu seul est bon. » Ce regard d’humble lucidité sur notre vraie valeur peut nous conduire à l’humour. L’humilité n’est-elle pas le secret de la joie ?

©Stan Rougier : pour qu’éclate de joie chaque heure et chaque jour !…

L’humble sait que les « tuiles » font partie du programme et que tout l’art de vivre consiste à les utiliser pour son progrès spirituel, comme au judo on exploite la force de l’adversaire. Il ne se crispe pas dans le désespoir comme si toute souffrance inévitable était endurée pour rien… Il ne se durcit pas dans la révolte comme si l’injustice qui le frappe devait être vengée toutes affaires cessantes.

Il ne s’irrite pas devant ses limites, ses imperfections, ses chutes, ses rechute. Il ne prétend pas susciter l’approbation générale. Il sait que l’admiration des uns lui vaudra infailliblement le mépris ou la contradiction de la part des autres. En bref, il sait qu’il n’est pas Dieu… et que les autres ne le sont pas non plus.

©Stan Rougier : l’impétuosité généreuse de la jeunesse

La Bible dans certains de ses livres de Sagesse, déborde de bonne humeur :

« Heureux qui n’est pas tourmenté par le regret de ses fautes » (Ben Sira 14,1).

« Ne te tracasse pas de ce qui te dépasse » (Ben Sira 3,23).

« Apprécie-toi à ta juste valeur » (Ben Sira 10,28).

« Ne te refuse pas le bonheur présent. Ne laisse rien échapper d’un légitime désir » (Ben Sira 14,14).

©Stan Rougier : les aumôniens célèbrent la vie que Dieu leur donne

« Qui est dur pour soi-même, pour qui serait-il bon ? » (Ben Sira 14,5).

Je limite à regret ce modeste bouquet. Qu’il vous donne au moins le goût d’aller cueillir vous-mêmes dans cette vaste prairie l’œuvre de Ben Sira, alias l’Ecclésiastique.

Habituellement, ceux qui rient le plus sont les inconscients et les aliénés… Est-ce pour cela que les gens sérieux se croient réellement obligés de se prendre au sérieux ?

Dans nos sociétés hyperactives, hyperorganisées, survoltées, l’humour semble faire singulièrement défaut. C’est à qui prendra la mine la plus défaite, l’air le plus constipé. Si par hasard on traverse une période de bonheur au milieu de tant de « frustrés », comment ne pas avoir mauvaise conscience ?

Un camp d’aumônerie : s’émerveiller et rendre grâces

Je me souviens de mon premier curé me faisant visiter « sa » paroisse. Avec un visage tendu et amer, il décrivait les conflits de la « cité de la paix », les baptêmes bidon, les mariages suivis rapidement de divorces, les enterrements civils… Nous marchions dans les effluves puantes d’une usine. L’angoisse me gagnait. Je suggérai que son point de vue était peut-être un peu excessif : « La bouteille est-elle à moitié pleine ou à moitié vide ? » Il m’arrête net et sa voix me transperce : « La bouteille, ici, elle est cassée ! »

J’avoue préférer la spiritualité de cet ami qui, devant le cadavre d’un chien, s’exclamait : «  Oh, comme il avait de belles dents ! »

Si selon Chesterton, qui ne plaisantait pas avec l’humour, « le pessimiste et un imbécile malheureux et l’optimiste un imbécile heureux », n’y a-t-il pas à chercher du côté de l’espérance lucide… ou du réalisme constructif ?

©Stan Rougier : comme un feu sur la neige… l’espérance

Est-ce le thé qui est mauvais ou notre bouche qui est malade ? Est-ce le paysage qui est sans intérêt ou nos chaussures qui sont trop étroites ? Est-ce « l’autre » qui nous exclut ou nous qui nous sentons de trop ? Est-ce l’aventure de la vie qui est sans attrait ou notre système neuro-végétatif qui est coincé ?

Comment ne pas Te louer, mon Dieu !

Il faudrait des cures de désintoxication, des cures de joie, pour rejeter ces lunettes de malheur qui nous font tout voir en gris ! Faute de quoi, des accidents en cascade nous guettent… Celui qui entre en dépression, ce « mal du siècle », risque d’y faire un très long séjour ! Et il aura bien envie d’entraîner les autres dans le sillage de son horrible solitude !

Un chrétien ne peut pas être inquiet « comme les païens qui ne savent pas qu’ils ont un Père ». Il sait que rien n’est fichu, que rien n’est raté, que, tant qu’il y a de l’amour, il y a de l’espoir… Et de l’amour, Dieu en a à revendre : « Si nous savions combien Il nous aime, nous en mourrions de joie… »

Attendant que l’Absolu se révèle à nous dans un éblouissement total qui nous arrache à nous-mêmes, nous savons rarement Le trouver là où Il nous donne Ses rendez-vous. Il s’était glissé parmi nous incognito… Mendiant d’amour, Il S’était déguisé en épouse ou en collègue de travail, en professeur ou en lycéen… pour frapper plus doucement à la porte de notre cœur.

Amoureux, Il S’était déguisé en chant d’oiseau ou en sourire de petite fille pour mieux séduire notre âme…

©Stan Rougier

Rien ne peut nous empêcher de Le reconnaître… Rien sinon notre désespérance… et l’enflure de notre encombrant personnage.