« Lorsqu’on invitait sœur Emmanuelle, on savait qu’elle allait parler des chiffonniers du Caire, le père Guy Gilbert, des loubards… Mais le père Stan Rougier, que fait-il au juste ? » Ainsi parlait un lycéen en attendant mon intervention prochaine dans son école.
Ma planète à moi, c’est vous, les lycéens, les étudiants, vous « les jeunes ». Vous qui êtes à l’âge où vous décidez de votre avenir. C’est de vous-mêmes dont je viens vous parler. Vous face à l’appel d’un Dieu trop méconnu. À l’image de Qui vous avez été inventé ; vous face aux blessures de ce monde qui vous attend. Vos tourments n’ont jamais cessé d’être mes tourments, vos joies d’être mes joies. Je tente de crier sur les toits ce que vous m’avez dit à l’oreille. J’en ai noirci des centaines de pages de livres et de revues. J’en ai eu le cœur rempli à craquer lors d’interventions à la radio ou à la télévision.
Il est parmi vous des anciens qui pourraient écrire comme saint Paul : « Je rajeunis de jour en jour » Aujourd’hui, à quatre-vingt-treize ans, j’ai parfois envie de dire en parlant du passé : « « Quand j’étais vieux ! » La jeunesse, c’est d’abord d’être disponible à l’inattendu, à l’improbable, de réagir contre les scléroses du cœur et de l’esprit, de ne pas avoir des idées toutes faites sur tout, de ne pas se satisfaire de l’asphyxie de notre âme, de sa mise au placard…
Depuis plus de cinquante ans, ma mission de prêtre m’a fait vivre au confluent de l’attente des jeunes et des aspirations de Dieu, ou si vous préférez, des aspirations des jeunes et de l’appel de Dieu.
Lorsqu’un jeune entend l’appel de Dieu, sa vie s’embrase soudain. Son amour de la vie se multiplie par cent. Il n’est plus l’enfant du hasard balloté par la fatalité. Il est aimé. Il se découvre quelqu’un pour Quelqu’un. Dieu a un message pour lui : « Tu comptes immensément à Mes yeux, et Moi, Je t’aime » (Isaïe). En ouvrant la Bible, en écoutant parler de Lui, il a envie de dire à Dieu : « À mesure que Tu parles, j’existe. »
Lorsqu’un jeune, ou un moins jeune, entend l’appel de Dieu, le problème du mal n’est plus un cauchemar absurde. Ce monde ne lui apparaît plus comme un chaos, mais comme un chantier. Il va se mesurer avec les forces de l’ombre pour les faire reculer. Il fera reculer l’orgueil et la bêtise, le mensonge et la peur de l’autre, le racisme et la xénophobie. Au lieu de maudire l’obscurité, il allumera une petite chandelle. Au lieu de gémir sur les malheurs de ce temps, il s’émerveille de pouvoir contribuer, si peu que ce soit, à la croissance spirituelle de ses frères, à la délivrance des corps, des cœurs, des esprits. Des âmes.
Lorsque Dieu est trop flou, trop lointain ou trop intolérable, qu’advient-il ? La soif d’Absolu moisit dans votre cœur. Vous portez à l’Absolu des valeurs ou des personnes qui ne peuvent en aucun cas occuper cette place. L’être humain ne peut vivre sans adoration mais Dieu seul est adorable. Souvent il s’ensuit une cruelle déception, le sentiment d’avoir été trahi. Lorsqu’on ne croit pas en Dieu ou lorsqu’on ne croit plus en Dieu, on demande à tout et à tout le monde de combler la béance : « Etat, offre-moi la sécurité de l’emploi » « Etat, donne-moi mes droits, protège-les, protège ma liberté… » sans rien faire nous-mêmes pour exercer ces droits et les défendre, pour mettre en œuvre cette liberté et celle des autres.
Privés d’un Dieu Amour, on renonce à ses rêves. L’épaisseur du mal ne nous apparaît plus comme un chantier qui nous attend. On ne veut plus changer le monde. Le malheur, surtout celui des autres, est qualifié de fatalité. « On n’y peut rien !… C’est pas notre problème !… » Peut-on bien vivre en pensant que l’on vient de rien pour retourner à rien, avec, dans l’intervalle, pour seul projet, l’augmentation du P.N.B. ? Le désir d’Absolu se casse les ailes sur les vitres du réel.
De quoi dépend que l’on soit branché sur Dieu ou non ? Que l’on soit un feu qui brûle sur la neige pour guider les voyageurs égarés… ?
J’ai la conviction que Dieu nous chercher bien plus que nous ne Le chercherons jamais. Alors, pourquoi a-t-Il tant de peine à nous trouver ? Pourquoi ce brouillage des messages ? Pourquoi, comme au jeu du téléphone, Dieu glisse-t-Il à l’oreille du premier de la chaîne : « Je vous ai créés par amour. Je veux vous épouser. Aidez-moi à vous consoler, à guérir vos blessures, vos aveuglements, vos haines, vos désirs de vengeance. Aidez-moi à soigner les blessures de vos frères qui souffrent et appellent à l’aide » et, au bout de la chaîne, le message est devenu : « Obéissez à Mes ordres sinon Mes sanctions seront terribles ! » ?
Pourquoi les mots sont-ils à ce point affadis ? Vous dites « amour » et l’on comprend « aumône ». Vous dites « liberté » et l’on entend « inquisition » !
L’homme d’aujourd’hui est élevé dans la défiance et même le dégoût du sacré. Pour une part, ce peut être une chance qui nous prémunit contre les contrefaçons. L’esprit critique est nécessaire. Il n’est pas enviable de prendre le mysticisme pour de la mystique et la religiosité pour de la religion. « La corruption du meilleur est la pire des choses. » Aujourd’hui, un lycéen n’ose pas dire « Je suis croyant ». Il soulève aussitôt la méfiance et l’ironie de la quasi-totalité de ses camarades et de ses professeurs. Il s’expose à un harcèlement parfois haineux, toujours douloureux, à un âge où l’on a besoin de reconnaissance et de respect.
Un changement s’esquisse, me dit-on. Certains commencent à comprendre que la religion n’est pas ce qu’on avait dit Marx. Ce n’est pas un « opium ». C’est un ferment, un levain dans la pâte… Au Chili, en Haïti, aux Philippines, au Salvador, au Nicaragua, en Pologne… des chrétiens ont chassé les dictateurs. Ils ont donné leur vie pour que leurs frères vivent libres et respectés.
L’idole Marx s’effrite : derrière son masque apparaissent les millions d’arrestations du KGB, le goulag, encore aujourd’hui tristement d’actualité, les massacres de Katyn, ou l’Holodomor d’Ukraine, une société où chacun devient l’espion de son frère, où une fenêtre ouverte n’est plus respiration sur le monde, mais risque de chute mortelle de celui ou celle qui dérange des dirigeants qui semblent transformés en robots tueurs… Les chrétiens ne prennent-ils pas leur part pour faire tomber ces murs ?
L’amour est la réalité la plus vivifiante, la valeur sans laquelle les autres valeurs sont sans force et sans portée. Parmi les malades de l’hôpital de Bobo Dioulasso, où j’étais aide-soignant pendant mon service militaire, même les durs, mis au tapis par un accident ou une grave maladie, devenaient des mendiants d’attention, de respect, incroyablement vulnérables à toute parole de tendresse. Séparés de leur réseau de relations, privés de leurs activités, ils étaient confrontés à une question : « Qu’est-ce que je deviens ? Où ma vie me conduit-elle ? »
Le Dieu à visage humain vient vous dire : « Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie. » « Je suis venu pour que tu sois un grand vivant. » « Viens travailler à Ma vigne, viens travailler à ma moisson… » Par les prophètes, Dieu annonçait aux hommes : « Faites cesser toutes les aliénations, toutes les misères, toutes les humiliations. Ne vous dérobez pas à l’appel de vos semblables. Alors vos plaies cicatriseront. Alors vous serez des vivants » (Isaïe 58).
« Ta lèpre, c’est de l’amour inemployé. Vous valez ce que vaut votre cœur. Seul l’amour sauve… Toute l’histoire de l’humanité est l’histoire du besoin d’aimer et d’être aimé. » « Tu attendais de Moi, ton Dieu, que Je vienne sur les lieux du désastre avec ma baguette magique… Eh bien, Ma baguette, c’est toi ! »
Tu peux dès aujourd’hui porter ta contribution à ce monde d’amour et de paix dont tu rêves. Aujourd’hui, demain… à chaque instant de ta vie, tu peux faire ce choix. De consoler au lieu de blesser, de pardonner au lieu de te venger, de rire et de laisser entrer le soleil dans ton coeur au lieu de souffrir dans la prison que tu te construis, de tendre la main à ceux qui t’appellent au lieu de fermer ta porte pour ne pas entendre leurs cris…