« Réjouis-toi, MARIE comblée de grâces ! »
J’aime à imaginer ce que fut l’enfance de Marie. Y a-t-il jamais eu sur la terre une enfant plus transparente à l’essentiel ?
J’ai été souvent en pèlerinage à Nazareth. Parfois, je marchais seul sur les chemins des environs, où le cadre naturel est resté proche de ce qu’il fut autrefois. Je voyais Marie courant dans les champs, cueillant les fleurs, chantant des chansons. Ce spectacle me ravissait, me remplissait de bonheur. Je voyais Marie à cinq ans, avec un garçon en chiffons dans les bras. Un monde où une telle merveille existe ne peut être entièrement mauvais.
Il y a quelques jours, je me trouvais dans un monastère de quatre-vingt religieuses en Roumanie. L’une d’entre elles, qui partageait son temps entre l’adoration du Dieu vivant et la peinture des icônes, avait un visage d’un éclat inimaginable. Était-ce l’innocence ou l’adoration ? Les deux, sans doute ! En la voyant, je songeais à Marie. J’aurais été cinéaste, j’aurais supplié la supérieure qu’on permît à cette jeune moniale de jouer le rôle de Marie. Quoi de plus bouleversant au monde qu’un tel visage ?
Au jour de l’Annonciation, Marie est-elle dans la maison de ses parents, – enclose aujourd’hui dans une basilique –, ou un peu plus haut sur la colline, au bord d’une fontaine qui coule encore ? Chacun peut faire son choix. Fra Angelico, Léonard de Vinci, Rembrandt,… des milliers de peintres ont représenté cet événement.
Marie est très jeune, affirment les exégètes. Quinze ou seize ans ! On se fiance tôt dans ces pays ! L’ange ne l’appelle pas « Marie ». Il lui donne un surnom : « Comblée de grâces ». Marie va écouter cette annonce incroyable qui lui est faite. Elle ne crie pas. Elle ne ferme pas la porte à cette visite. Elle interroge avec réalisme : « Comment le projet de Dieu peut-il se réaliser? Dieu a besoin d’un homme s’Il veut que je porte un enfant. Je n’ai pas de relations intimes avec mon fiancé. ».
La réponse de l’ange s’inspire de toute la tradition des théophanies bibliques. « La gloire de Dieu te couvrira de Son ombre. » La nuée accompagnait le peuple de l’Exode : « La nuée couvrit la tente de la Rencontre et la gloire du Seigneur remplit la demeure[1] », dit le saint Livre.
L’ange veut aider la foi de Marie par des signes. Dieu, qui a inventé le pouvoir de la transmission de la vie, peut Se charger Lui-même de l’apport des éléments nécessaires. « Regarde, ta parente Elisabeth en est à son sixième mois, elle qu’on nommait “la stérile”. » Et l’ange conclut par la parole même qui résume tout : « Rien n’est impossible à Dieu ! »
Le prêtre Zacharie n’eut pas cette attitude. À l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste, il ne répond pas : « Comment cela se fera-t-il, car ma femme est trop âgée ? » Il répond : « Qu’est ce qui m’en assurera ? » Nous voilà bien, nous les hommes, cherchant des « assurances » contre le doute ! L’ange Gabriel est choqué : « Je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu. Tu vas devenir muet jusqu’à ce que ces choses arrivent… » Geste rempli d’humour. Tu veux une preuve, Zacharie ? En voici une très concrète ! Essaie donc maintenant de parler !
Marie court chez sa cousine, non pour chercher une « garantie », mais pour lui porter aide et réconfort. Vivre dans la foi ne veut pas dire ne pas avoir les pieds sur terre. Accoucher, pour une jeune femme, c’est difficile, mais pour une femme âgée qui n’a jamais eu d’enfant, quelle histoire !
Elisabeth n’a pas douté. Elle n’est pas devenue muette. Elle laisse chanter son cœur. Guetteuse de signes, elle a senti dans son ventre les coups de pieds du petit Jean… Elle les interprète comme un bondissement de joie à l’approche du Messie.
Elisabeth prolonge la déclaration du « Je vous salue, Marie » commencée par l’ange :
« Tu es bénie entre toutes les femmes,
et le fruit de tes entrailles est béni. »
Dommage que l’on n’ait pas gardé dans ce « Je vous salue… » le couplet le plus beau d’Elisabeth : « Heureuse es-tu, toi qui a cru en l’accomplissement de ce qui t’a été dit de la part du Seigneur ! »
Marie, à son tour, inspirée par l’Esprit Saint et encouragée par le chant d’Elisabeth, compose son cantique. Elle ne dit pas : « J’ai vraiment une chance inouïe » ou « Je me demande pourquoi le choix de Dieu s’est posé sur moi ». Elle ne dit pas : « Je sens que mon petit sera le plus beau, le meilleur, le plus fort ! »… Elle se met au diapason de sa cousine, dans l’esprit de ses ancêtres. Elle est aujourd’hui l’héritière d’un peuple et d’une promesse. Tout l’Ancien Testament déferle sur ses lèvres. La Parole de Dieu, elle l’a dans le sang. Ses parents peuvent être fiers de leur élève. Elle a tout écouté, beaucoup, passionnément !
Elle a si bien retenu le très ancien cantique d’Anne lorsque celle-ci mit au monde le petit Samuel ! Quelle délicatesse envers Elisabeth ! Comme Anne, sa cousine Elisabeth a connu les moqueries et la honte de la stérilité ! Comme Anne, Elisabeth s’en est remise à Dieu : « Seigneur, si Tu voulais regarder la misère de Ta servante, et lui donner un petit d’homme[2] ! »
Marie ne fait que reprendre le cantique d’Anne :
« Mon âme exulte de joie en mon Seigneur.
Je mets toute ma joie en mon Sauveur.
L’arc des puissants est brisé.
Les riches vont les mains vides demander du pain.
Les affamés seront rassasiés.
La femme stérile enfantera sept fois.
Dieu retire de la poussière le faible.
Du fumier, il relève le pauvre.
Il garde les pas de ceux qui mettent en Lui leur confiance. »
Elle ne garde pas un verset qui lui semble peut-être trop cruel :
« Mais les méchants s’enfoncent dans les ténèbres. »
Dieu est bien le même aujourd’hui comme hier. Sa tendresse dépassera toujours notre attente !
Oui, Marie est bien fille d’Israël, dépositaire de dix-sept siècles de l’Histoire d’amour la plus inouïe entre Dieu et Son peuple ! Marie a la mémoire du cœur. Elle retient ce qu’elle aime. Luc en fait deux fois la remarque : « Quant à Marie, elle conservait avec soin tous ces souvenirs et les méditait en son cœur[3] » ; « Marie gardait fidèlement tous ces souvenirs dans son cœur[4] ».
Martin Luther a écrit un livre très beau sur Marie. Son titre est Magnificat. En voici un court extrait :
« Ne trouves-tu pas merveilleux ce cœur de Marie ? Elle se sait mère de Dieu, élevée au-dessus de tous les hommes, et elle demeure pourtant si simple et si calme que tout cela ne lui aurait pas fait considérer une humble domestique comme son inférieure.
Oh, pauvres de nous ! Quand nous possédons le moindre bien, le moindre pouvoir et le moindre honneur, ou, simplement, quand nous sommes un peu plus beaux que d’autres, nous sommes incapables de nous mettre sur le même plan qu’un homme moins favorisé, et notre orgueil ne connaît pas de bornes.[1] »
[1] M. Luther, Magnificat, Nouvelle cité, 1983, p. 55.
[1] Ex 40, 34.
[2] Samuel 1, 10.
[3] Lc 2, 19.
[4] Lc 2, 51.