Homélie pour « l’encièlement » de mon frère Jean.
Église d’Arbonne – 28 novembre 2006.
En exergue d’un livre qu’il a écrit sur nos ancêtres béarnais, mon frère Jean a écrit cette parole de la Bible : « Aux yeux des insensés ils paraissent morts, en réalité ils sont vivants. »
Cette célébration avec la beauté de ses chants et l’espérance de ses textes ne veut pas occulter notre chagrin. Elle veut nous redire la réalité invisible qui se cache sous les apparences.
Jean avait reçu à son baptême un prénom qui veut dire : Dieu est amour, Dieu fait grâce : en hébreu « Johannan ». Notre Dieu n’est pas avare de Ses dons. Il ne nous a pas créés pour quelques décennies mais pour toujours. L’homme est le chef d’œuvre de Dieu. L’homme est l’espérance de Dieu. Si nous connaissions la beauté d’un seul être humain nous nous évanouirions de bonheur et d’extase.
Alors pourquoi mourir ? Pourquoi une séparation aussi cruelle ? Cent fois dans les livres de Sa Parole Dieu nous invite à reconnaître que « l’essentiel est invisible pour les yeux ». Aux trois textes choisis par Antonia et Jérôme, j’en ajoute volontiers un de Saint Paul dans sa Première lettre aux chrétiens de Corinthe :
« Comment certains osent dire qu’il n’y a pas de résurrection ? Si les morts ne ressuscitent pas le Christ n’est pas ressuscité. Si le Christ n’est pas ressuscité nous sommes les plus malheureux des hommes…
Avec quel corps reviennent-ils ?
Que tu es bête ! Quand tu sèmes, tu ne sèmes pas la plante… mais un petit grain, de blé ou autre. Ainsi pour la résurrection. Semé destructible on se réveille indestructible. Semé ignoré on se réveille dans la gloire. Semé faible on se réveille sans failles. Semé animé on se réveille corps spirituel » (1 Corinthiens 15/12,44).
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Toutes les religions quelles qu’elles soient s’accordent sur un point : la mort n’est qu’un passage, une transition, une métamorphose. Il n’y avait pas assez de place sur notre petite planète. A chaque départ de l’un des nôtres nous sommes invités à nous interroger. D’où venons-nous ? Qui sommes nous ? Où allons-nous ?
Y-a-t-il un Royaume au bout du chemin ?
La vie nous a été offerte comme un cadeau extraordinaire. Pourquoi nous ? Ce mystère sera-t-il élucidé un jour ? Quoi faire de ce cadeau ? De très nombreux messagers du Créateur nous ont livré le secret : Nous sommes venus au monde pour apprendre à aimer. Ce que Dieu est par nature : torrent d’amour ; nous sommes invités à l’être par participation.
Pour cela il fallait pouvoir choisir, être libres, désirer. Notre vie est l’espace de ce choix.
Les stagiaires d’une école d’amour apprennent à aimer. Nous n’avons pas toujours conscience de la beauté d’une pareille aventure. Nous nous laissons distraire par des soucis futiles. Le superficiel nous cache l’essentiel. L’essentiel c’est l’émotion éprouvée devant des visages aimés.
Je me souviens d’Antonia à qui je demandais pendant l’été 1957 :
–« Que penses-tu de Jean ? »
Un cri jaillit :
–« Je n’en pense rien… je l’aime. »
Je me souviens de la joie de Jean et Antonia devant Dominique, Jérôme, Eliane, Nicolas, Timoté. Connaissez-vous une aventure plus belle que celle d’aider un être à grandir ?
Jésus-Christ, l’amour fait l’homme, est venu nous dire le sens de notre stage : « Devenez amour comme votre Père du Ciel est Amour. Ce que le soleil et la pluie sont pour les plantes, soyez-le pour votre prochain. »
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Sincèrement, chers vous tous, ne l’entendez-vous pas le message de ceux qui se sont rapprochés de leur éternité ? Ils nous disent : « Nous n’avons vécu que de nos liens ! Nous n’avons été vivants et heureux que par vous et pour vous ! »
J’en appelle à Antoine de Saint Exupéry « Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit : ma fleur est là quelque part. »
J’en appelle à Georges Brassens qui savait si bien nous dire combien l’Auvergnat, l’hôtesse et l’étranger seraient accueillis par le Père éternel par la grâce d’un seul geste de tendresse, d’un seul sourire, par la grâce d’un regard de compassion.
J’en appellerai même à Jean-Paul Sartre pour mieux toucher le cœur des incrédules. Écoutez : « Voilà le fond de la joie d’amour lorsqu’elle existe : nous sentir justifiés d’exister » (L’être et le néant, p. 439).
Je te contemplais ces jours-ci, mon cher Jeannot sur mes albums de photos. Je te vois tout frisé à deux ans dans les bras de notre mère. Tu as un sourire à décrocher les étoiles. Je te vois sur une barque, tu as dix-sept ans, nous sommes tous là tes frères et sœur, notre mère tient les rames.
Je te vois au banquet de ton mariage en Hollande. Plus heureux que toi ce jour-là, ce n’est pas possible ! Je te vois triomphant près d’un espadon d’une demie-tonne que tu viens de capturer. Je te vois sur la photo que Jérôme a remis aujourd’hui à chacune, chacun d’entre nous, nous invitant à un tour dans les sous-bois ou à aller nourrir les canards.
Tu vas paraître devant ton Créateur. Ce n’est plus toi, cette fois-ci, qui fais passer l’examen de candidature. « Pourquoi penses-tu que tu es apte à l’éternité ? » Tu auras peut-être envie de répondre par ces grandes choses que tu as réalisées sur le plan professionnel ou littéraire ou photographique… Et il te sera répondu que tu as su te réconcilier avec un adversaire, ou que tu as su regarder, émerveillé, une petite fille de cinq ans. Je pense ici à la dernière image que j’ai prise de toi cet été.
Tu connais sans doute cette parole de Jean de la Croix : « Au soir de notre vie nous ne serons jugés que sur l’amour. »
Hier j’interrogeais plusieurs de tes amis : « Quel genre d’homme était Jean à vos yeux ? » « Epicurien, excessif, hors norme, … On ne connaît bien que ce qu’on apprivoise ! Le mot qui revenait le plus souvent était « généreux ».
Pour moi tu étais surtout une superbe originalité, un grand vivant, une personnalité jubilatoire.
Lorsque j’avais treize et quatorze ans tu m‘invitais à partager de grandes virées à vélo, de plus de cent kilomètres à travers l’Auvergne. Nous chantions à tue-tête nos chants scouts : « Avec toi j’ai marché sur les routes humaines, avec toi j’ai aimé… ». Nous étions ivres de vent et du parfum des genêts, des jonquilles et des sapins.
Tu as aimé passionnément la vie. Ta curiosité était sans bornes. Les occasions ne t’ont pas manqué de découvrir à travers le monde combien Dieu S’y connaît en joies et en trésors.
Je L’entends te dire « Jean ! Tu n’as encore rien vu ! Viens dans mes bras, c’est ta place ! Je n’ai pas cessé une seconde de t’aimer. »
Jeannot, le Royaume où tu vas n’est pas différent du royaume de la terre. C’est l’amour qui en fait le goût et le parfum. Mais cette fois-ci, et si j’en pleure c’est de joie, il n’y aura plus de malentendus, plus de paroles malheureuses, plus d’offenses, plus de discordes, plus de zizanie. C’est la Bible, c’est Dieu qui me le disent : « Il n’y aura plus de souffrances, plus de séparation, plus de larmes, plus de mort » Apocalypse 20.
Tout ce qui a pu à un moment ou l’autre nous assombrir la vie n’aura plus court, le mal a achevé de nous tester.
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La survie de notre destinée n’était pas un problème pour toi, Jean. Une de tes dernières paroles, avec ta voix rugueuse, a été « Je m’en vais retrouver Dominique. » Tu aurais pu signer cette parole du grand philosophe Bergson : « La survie de l’âme est tellement vraisemblable que l’obligation de la preuve incombera d’abord à celui qui nie, bien plutôt qu’à celui qui affirme. »
Je t’entends nous dire cet après-midi au milieu de ce grand soleil et de ces superbes cantiques basques : « Ne pleurez pas, je ne pars pas, j’arrive ! »
ton frère Stani