Je prenais presque toujours des doubles de mon courrier. Je retrouve un des brouillons d’une lettre adressée à Françoise.
Elle a alors 15 ans et j’en ai 18. Elle était venue de Paris à Clermont-Fd en stop. Je l’avais hébergée en tout bien tout honneur dans ma chambre prés du toit. Nous avions déclamé une partie de la nuit « Les pièces roses » d’Anouilh. La nuit suivante nous l’avions passée dans le creux d’un volcan, proche du Puy de Dôme.
Nous correspondions souvent. Je retrouve ce matin une parcelle de lettre :
« Je marchais hier près du viaduc des Fades pour chercher du lait dans une ferme pour ma colonie de vacances. Tout en marchant ma pensée volait vers vous, je vous imaginais venant me voir ruisselante de pluie. Et nous parlions jusqu’à l’aube…
Vous me dites souvent que l’on ne vous comprend pas. Mais personne ne peut vraiment nous comprendre. L’être humain est un mystère sans fond. Hier, avec des amis, nous évoquions les chassé-croisé affectifs. Jaques est amoureux d’Eliane mais Eliane aime ailleurs… Solange aime Pierre mais Pierre aime ailleurs… Très étrange amour où l’on prend de tout petits signes pour des preuves, où on calcule, où on prend ses désirs pour des réalités, où on joue avec l’amour.
Ne cherchez surtout pas à me connaitre, Françoise. Vous y perdriez votre latin. Je ne me connais pas moi-même. Sachez que vous ne serez jamais pour moi un objet d’études. Les mystères ont besoin de respect… »
Nous sommes restés liés jusqu’à sa mort avant qu’elle ait atteint 60 ans.
On se retrouvera bien sûr !… Dieu nous l’a dit.