Première partie
« Au commencement était l’amour »…
Entretien avec Stan Rougier Propos recueillis par Samuel Pruvot (France catholique n°2883.
Alors que nos lecteurs sont mobilisés pour la Journée de la Vie du 25 mai, nous leur faisons le cadeau d’une rencontre avec un de ces « grands témoins », pas si nombreux, qui appellent les jeunes à faire le choix de la Vie.
Il aurait pu jouer dans le Nom de la Rose. Dans le rôle principal. Avec sa barbe poivre et sel taillée comme une cotte de maille et son regard de braise, Stan Rougier ressemble à un personnage de la légende arthurienne. Du genre Sean Connery. Dans son jardin de curé, à Marolles, près de Brétigny sur Orge, c’est lui-même qui plante les rosiers.
Avec le roman Umberto Ecco, le problème est moins le casting que le scénario. Stan ne peut se passer de sourire. Il pulvérise d’un éclat de rire le soi-disant « obscurantisme médiéval ». Il pourrait incarner un moine policier, pas un dépressif. Septuagénaire fringant, il est d’un abord facile avec sa croix byzantine qui nage à la surface de son pull-over bleu marine. Comme pour se venger des heures passées avec Nietzsche dans sa jeunesse, il a voulu donner à son sacerdoce un accent jubilatoire. La vie quoi !
Son ami basque, le cardinal Etchegaray, connaît bien l’animal. Préfacier de son vingt-deuxième ouvrage, il lui renvoie la balle, comme à la pelote. « Vous continuez à gambader, nomade de l’Eternel, avec une besace pleine de pensées, polies au torrent de l’Esprit » lui lance joliment le cardinal.
« Cela bout là-dedans » commente Stan Rougier en posant la main sur la couverture de son dernier livre au titre biblique : Au commencement était l’amour. Où trouve-t-il le temps d’écrire, cet aumônier voyageur qui saute d’un plateau TV au Canada à une conférence aux lycéens de Passy-Buzenval ?
« Cela ne me fatigue pas. En aumônerie, j’ai pris l’habitude d’enchaîner. On finit par marcher sur un fil, à la manière des équilibristes. » Bravo Stan pour le numéro.
Il a commencé sa « carrière » d’écrivain juste après le pape. C’était en 1979. Stan avait 50 ans et sortait aux éditions du Cerf-Salvator son premier best-seller, L’avenir est à la tendresse.
Il parlait déjà de « l’amour du Bon Dieu ». Ce leitmotiv le dévore toujours : Je viens de terminer la lecture du dernier essai de Jean d’Ormesson. Il a trouvé un style extraordinaire, dépouillé. » Si le père Rougier convoite les talents littéraires des autres, ce n’est pas pour décrocher une place au Figaro littéraire. C’est pour son apostolat ! Stan voudrait convertir la planète. Et il en serait bien capable…
- Père Rougier, l’athéisme peut-il être un tremplin vers Dieu ?
C’est paradoxal mais vrai. L’athée est quelqu’un qui crie ce que Dieu n’est pas. Il piétine un sel affadi et barre les chemins qui ne conduisent pas au ciel. Dans ma jeunesse, j’ai croisé un christianisme révoltant. J’aurais pu, comme d’autres, sombrer dans l’athéisme. Ce qui m’a sauvé, c’est le scoutisme. Mes aumôniers étaient tous amoureux d’un Dieu qui n’existait pas au détriment de l’homme. La gloire de Dieu, c’est toujours l’homme vivant !
- Tel n’est pas exactement le credo des « maîtres du soupçon » !
Dans ma vie, j’ai rencontré pas mal de clones de Marx et de Freud. Marx dénonce un paradis qui arrive trop tard ; Freud une religion qui provoque des névroses. Nietzsche est sans doute le plus corrosif. Pour lui, la religion c’est le « non à la vie », l’Evangile est une « mauvaise nouvelle » ! L’athéisme, cependant, a quelque chose de positif. Il permet d’affirmer que Dieu n’est pas dans cette direction.
- Plusieurs maîtres antagonistes ont fait le siège de votre intelligence, comme Nietzsche ou Saint Exupéry. Pourquoi ?
L’influence de Nietzsche a été perverse pour moi, celle de Saint Exupéry féconde. Citadelle est un livre phare qui m’avait été prêté par un aumônier scout que je vénérais. À 20 ans, en Afrique, je jouais de la guitare et lisais Citadelle. Je lisais une ou deux pages par jour. J’aimais ce style biblique. Saint Ex m’a obligé à me poser la question de Dieu : « Et je connus l’ennui qui est d’abord d’être privé de Dieu », « À la tête de ma cité, j’installerai des poètes et des prêtres. Et ils feront s’épanouir le cœur des hommes »
- D’où vient, chez vous, cet amour éperdu de la vie ?
Ma chance, c’est d’avoir été toujours en contact avec des jeunes. D’instinct, les jeunes cherchent ce qui est vivant, joyeux, aimant. Jésus Christ propose merveilleusement la vie, la joie, l’amour. C’est le message de la Bible : « J’ai mis devant toi la mort et la vie. Choisis la vie ! » (Dt 30,30). Celui qui « choisit la mort » peut toujours se reprendre. « Je me tiens à la porte et Je frappe » dit Dieu dans l’Apocalypse. « Je serai avec toi comme un ami tous les jours de ta vie ».
L’homme qui a fait un mauvais choix à 20 ans n’est pas fichu. On peut « choisir la vie » dix fois par jour !