Art de Janine Feller, Revue Prier 1987
« C’est au Foyer de Charité de la Flatière que nous avons rencontré Stan Rougier, le chantre infatigable de la tendresse de Dieu »
Le père Stan est infatigable ! Devant un auditoire de jeunes ou au cours d’une retraite à la Flatière avec participants de tous âges, dans une prédication télévisée ou à un feu de camp, sur la brèche 15 à 17 heures par jour, d’une bonne humeur inaltérable, c’est toujours le même Stan Rougier et c’est toujours l’impact du même message.
La guitare à la main, une chanson, une anecdote, une aventure de voyage, un récit poignant, un éclat de rire… Et soudain un déclic et sa parole vous atteint au cœur. Ce message d’amour entendu à la Flatière me paraît neuf comme la chaine du Mont-Blanc que je reçois comme un choc en plein estomac chaque fois que je lève les yeux éblouis vers le paysage. Mais l’Évangile, il m’éblouit, lui aussi ! Cette parole-là m’était destinée : « Aujourd’hui, n’endurcissez pas votre cœur » dit un psaume. Un souffle passe.
Le Visage d’amour de Dieu, Sa tendresse, c’et la « vérité vraie » comme disent les enfants. Seulement les mots sont usés. Stan Rougier est le chantre qui les fait renaître. Et ses auditeurs renaissent aussi. Un auditoire très composite où l’on retrouve des jeunes, des couples, des célibataires, des gens actifs, des retraités, des prêtres, des religieuse. C’est une retraite « en Eglise » selon la formule de ce Foyer de Charité qu’anime le père Ravanel et une toute une communauté de laïcs. Cette diversité en fait la richesse.
Un autre visage de Dieu
Les jeunes, dont beaucoup font partie de groupes de prières et sont très engagés, se disent avides d’une formation doctrinale ; les prêtres sont heureux d’une retraite « où l’on ne reste pas entre soi ». « Voir des laïcs qui prennent huit jours sur leurs vacances pour réfléchir sur leur foi, cela fait du bien ! » disent-ils. Et les aînés n’en finissent pas de découvrir un autre visage de Dieu.
L’empreinte d’un Dieu exigeant, père courroucé contre ses créatures à qui l’on doit rendre des comptes en tremblant, est-elle encore inscrite dans les cœurs des chrétiens d’aujourd’hui ? Cette vision n’est-elle pas totalement périmée ? « Pas si sûr » répond Stan Rougier.
Et il cite la lettre d’une correspondante de 87 ans qui, après avoir suivi l’une de ses retraites, lui a écrit : « J’ai tout faux ! Ma vie n’a été marquée que par le devoir… » Il ajoute : « Sans avoir atteint cet âge imprégné d’une éducation de rigueur janséniste, beaucoup de chrétiens ont encore peur de Dieu. » Je suis toujours bouleversé par ces textes d’Isaïe : « Ton époux, c’est ton créateur… » et « les montagnes peuvent s’ébranler et les collines chanceler, mon amour ne s’écartera pas de toi » (Is 54, 10) et aussi : « Ton bonheur sera la joie de Dieu » (Dt 30, 9). C’est à partir de ces textes que je prie.
Si je n’avais pas été moi-même blessé jusqu’au fond de l’âme par le Dieu « dénicheur de coupables » que l’on m’avait présenté dans mon enfance, je n’aurais pas l’envie inépuisable de prêcher un Dieu de tendresse. Si la découverte que j’en ai faite a été extraordinaire, c’est par contraste. Je suis le témoin émerveillé de la libération opérée dans le cœur de ceux que je rencontre lorsqu’ils Le découvrent à leur tour. Alors les vieilles blessures remontant à l’enfance commencent à se cicatriser. Cette délivrance fait jaillir en eux une source de joie. Elle les établit dans une relation nouvelle avec Dieu, faite de confiance. Cela change tout !
« Ceci ne signifie pas qu’il faut devenir laxiste et que le péché n’est rien. Dieu souffre réellement de notre péché puisque le péché nous abîme. On ne peut pas voir quelqu’un s’abîmer impunément sans réagir. Si j’ai un ami qui se drogue, je ne vais pas le laisser sombrer sans rien faire, sans rien dire. »
Quelle place tient la prière dans la vie de Stan Rougier, vie faite de rencontres, de conférences, de voyages, de prédications… toute en mouvement ? Il en parle avec simplicité en montrant la reliure toute neuve de sa Bible.
« J’ai toujours la même Bible depuis ma jeunesse, lors d’une année au noviciat chez les dominicains. Elle était tellement usée que des amis me l’ont fait relier à neuf ! J’ai coché les passages qui sont ma nourriture quotidienne. Voyez, elle est toute soulignée, toute « culottée » ! Il me semble que je ne pourrais pas facilement en utiliser une autre. Au cours de ce noviciat, j’ai découvert la prière. On ne faisait pratiquement que prier pendant toute une année. Je suis un actif et l’action était totalement supprimée. Je comparais ma situation à celle d’un arbre dont on aurait coupé toutes les racines, sauf une, celle de la contemplation. Je souhaite enfouir toujours plus loin et plus profond cette racine-là.
« La prière, continue Stan Rougier, est souvent présentée comme une adresse de l’homme faite à Dieu. C’est le cas des psaumes : de la colère à l’émerveillement en passant par les cris de désespoir. Mais j’ai découvert une autre manière de prier : la prière comme une conversation ! Dans une conversation, on n’est pas les seuls à parler, il y a l’ « autre » qui a envie de nous dire : « Écoute, arrête un peu, c’est mon tour, c’est à moi de jouer. Moi aussi j’ai quelque chose à te dire ! »
La prière… comme un bonheur
Alors, j’ouvre ma Bible, parfois en choisissant les pages, sachant, par exemple, que le Cantique des cantiques va m’offrir l’amour fou de Dieu et le livre de Job un éclairage sur le sens des épreuves. Je choisis en fonction des besoins du moment. Je me mets à l’écoute de Dieu qui me parle. Et si je lis « Ephraïm » ou « Jacob » ou « mon peuple », j’entends « Stan » et je reçois le message pour moi… Et pour chacun de nous, c’est pareil !
« Je trouve cette forme de prière rassasiante. C’est Dieu qui nous aime le premier. À ceux qui se plaignent de ressentir dans la prière une sorte de solitude et disent : « Je ne sais pas si Dieu m’écoute, je ne sais même pas s’il y a Quelqu’un », je dirais volontiers que je ne peux pas être seul puisque j’écoute la Parole de Dieu. C’est Lui qui parle, c’est Lui qui commence, c’est Lui qui pourrait me trouver trop lointain ou trop absent. »
Sur la page de garde de sa Bible, Stan Rougier a écrit ce verset de Jérémie : « Ta Parole était mon ravissement, l’allégresse de mon cœur ». Et il explique : « Quand lors d’une retraite, je parle de la prière, j’essaie de ramener mes auditeurs à leur propre cœur. La prière, c’est comme un bonheur.
Apprendre à ne faire qu’un tout en restant deux, c’est l’amour. Ceux qui ont fait l’expérience de la rencontre humaine, du dialogue d’amitié, savent prier. Les échecs, les brèches, les désillusions, les souffrances de notre vie sont des lieux où Dieu nous propose un rendez-vous. « Ta blessure, c’est Ma place » nous dit Dieu.
La semence cherche une bonne terre pour germer et porter du fruit. Au cours d’une retraite, aidés par le silence et, ici, la splendeur de la Création, les cœurs prêts à entendre la « parole ». Stan Rougier instaure avec les retraitants une « opération feed back », un choc en retour : il invite ses auditeurs à lui écrire quelques lignes en écho de sa prédication, ce qui leur permet de ne pas laisser leurs découvertes spirituelles dans le flou. C’est souvent l’entrée en matière d’une rencontre personnelle.
La manière de ce prédicateur-troubadour qui accompagne sa parole de musique, de chants, conjuguant le sérieux du propos et la distance de l’humour, agit comme une respiration. De l’aveu des participants, au cours d’un bilan, à la fin de la retraite, on reçoit de l’oxygène spirituel, on repart avec un mieux-être. On n’en sort pas indemne. La joie, malgré les déchirements de certaines existences et la misère du monde, n’est pas insolente mais dynamisante. « Tes ombres deviendront plein midi », leur a dit cet amoureux de Dieu citant encore et encore Isaïe.
Quant à lui, il repart aussitôt camper avec des jeunes et leur transmettre le même cri. Il ne semble pas épuisé. Il rayonne.