P. Oshida, un Japonais religieux dominicain


« On ne peut pas comprendre l’Esprit Saint, c’est Lui qui nous fait comprendre tout le reste »

J’ai rencontré le bouddhisme à 17 ans, en 1947, au Rassemblement scout mondial. J’étais interprète de la délégation birmane. Par la suite j’ai suivi des retraites avec Taisen Deshimaru et avec le Dalaï Lama. Très étrange religion où Dieu n’est pas évoqué. Il n’est pas nié non plus. J’ai eu maintes fois le sentiment qu’il s’agissait d’une gymnastique de l’esprit pour que toute situation conduise à la paix. Ne s’attacher à rien.

Méditation avec Taisen Deshimaru, 1967, Pays-Bas

Je me souviens d’un maitre en Inde auquel je demandais « Expliquez-moi cette religion ». Sa réponse fut prononcée d’une voix très lente, en me fixant d’un regard profond : « Tu as été roi dans des millions de royaumes. N’es-tu pas lassé du pouvoir ? Tu as été l’amant d’un milliard de femmes. N’es-tu pas fatigué des relations sexuelles ? Tu as été un artisan d’un milliard de métiers, etc. Lui ayant répondu que je ne me souvenais de rien il conclut en souriant : « Tu n’es pas encore prêt pour la délivrance. »

Japon Photo ©Stan Rougier

En 1974, embauché par Peuples du monde, j’entreprends mon deuxième voyage au pays du Soleil levant. J’étais curieux de savoir ce qu’il en était de la marque du bouddhisme sur ce pays, le seul qui s’était protégé de l’influence chrétienne.

Les moments passés au monastère zen d’Eihei-ji, sur la côte Ouest, m’ont laissé un de mes meilleurs souvenirs de voyage. Le monastère, accroché à flanc de collines au milieu d’une forêt de cèdres, près d’un torrent, était une splendeur.

monastère d’Eihei-ji

Depuis un stage au couvent de l’Arbresle, en 1974, avec Taisen Deshimaru, je rêvais de rencontrer le père Vincent Shigeto Oshida, un religieux japonais très original. Le P. Oshida réside au lieudit Takamori (« Le bois sur la hauteur »), à trois cents kilomètres de Tokyo, dans les Préalpes japonaises. Il est venu m’accueillir. Son visage déborde de simplicité et d’humour.

P. Vincent Shigeto Oshida

Dans la petite salle commune dans laquelle il m’introduit, un groupe de jeunes bouddhistes attend pour entamer la discussion. Le plus audacieux pose une kyrielle de questions sur le Christ et la Trinité. Le P. Oshida le secoue, le déconcerte. Il crie parfois ses réponses entrecoupées de longs silences :

« On ne goûte pas la présence de l’Esprit saint, on goûte la révélation qu’Il nous fait. »

Quand je me risque à lui demander comment concilier la souffrance des innocents avec la Tendresse de Dieu, il me répond :

« Il ne faut pas regarder le réel avec nos yeux mais avec les yeux de Dieu… Vous autres, Occidentaux, vous êtes prisonniers de la peur. Si vous ne saisissez pas, si vous ne dominez pas, si votre main n’est pas posée sur les choses, vous avez peur qu’elles vous échappent, vous vous inquiétez… Nous voulons retrouver le courant de la tradition mystique. »

©coll. cartes Stan Rougier

« On a mal traduit les « Béatitudes ». « Heureux les pauvres en esprit » signifie : Heureux ceux dont le mental est pulvérisé. En marche ceux qui n’ont pas de préjugés ! Il faut se libérer des idées figées. Alors on est libre pour recevoir l’action de la main de Bouddha et du Bon Dieu… Si vous voulez trouver Dieu, cherchez Le dans le silence de Dieu…. « S’il suffisait de demeurer en lotus pour obtenir l’éveil spirituel, les grenouilles seraient nos maîtres ! » enseignait le Bodhidarma, fondateur du bouddhisme zen. »

En Occident, vous ne pouvez pas aimer. Votre amour est trop possessif, trop jaloux, trop inquiet… Bouddha nous inculque le détachement et la juste distance qui rendent l’amour possible… »

Quand un homme laisse l’Esprit saint le saisir, il devient libre. Il laisse s’exprimer son originalité sans crainte du qu’en-dira-t-on. De ce genre de témoin se dégage une atmosphère de beauté, un sentiment de plénitude. Devant lui, chacun de nous découvre ce qu’il pourrait être s’il se donnait le droit d’exister dans sa différence.

©coll. cartes Stan Rougier

On compare souvent Bouddha et Jésus. Ils sont pourtant extrêmement différents. Mais pour le prouver, c’est surtout auprès des grands maitres qu’il faut s’orienter. Normalement, le monde sensible n’est rien pour le bouddhiste et le chrétien entend : « Je suis venu pour que vous ayez la vie en abondance. »

Le P. Oshida, après avoir célébré avec moi l’Eucharistie dans la plus grande simplicité, se dirigea à pas lents vers son petit jardin et me fit signe de le suivre. À quelques mètres de sa cabane, il s’arrêta devant une statue de Bouddha tenant la croix du Christ sur son coeur. Puis il commenta : « J’aime beaucoup cette statue… Si vous saviez comme ils s’entendent bien tous les deux ! » Le doux parfum des fleurs, le silence, l’isolement, la nature paisible, tout invitait à la méditation et à la paix.

Statue de Bouddha et Jésus à Takamori chez le père Oshida Photo ©Stan Rougier

Il n’est pas rare de rencontrer des maitres bouddhistes très joyeux et des chrétiens très tristes et pessimistes. « On ne peut juger le lion sur ses puces. » Quand je lis Qohèlet, j’ai l’impression de lire un auteur totalement bouddhiste : »Tout est buée » (Tout est vanité). « Le moi est haïssable » voilà un propos universel et fondamentalement bouddhiste.

Il m’est souvent passé par l’esprit que le bouddhisme était davantage une sagesse qu’une religion. « Comment faire pour ne pas être troublé par les turbulences d’où qu’elles viennent ? » Un optimisme radical enraciné sur le pessimisme. Ne rien prendre trop au sérieux de ce qui concerne les choses qui pourraient nous contrarier.

©Stan Rougier

Quand je me suis retrouvé en slip dans les rues de Bénarès, dépouillé de mon passeport, de mon chéquier et de tous mes vêtements, je me suis dit que le bouddhisme avait du bon. Mais François d’Assise donnait plus de couleur à un tel dépouillement. J’ajoute que, dans la liturgie bouddhiste moniale, nous retrouvons tous les ingrédients de la religion catholique. Entre autres : clochette, cierge et encens.

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Le P. Oshida a laissé ses enseignements dans un livre, publié en 2009, aux éditions Voies de l’Orient : « Enseignements de Vincent Shigeto Oshida : un maître zen qui a rencontré le Christ« .

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