« Ta vocation, tu la reconnaitras à ce qu’elle pèse en toi » (Antoine de Saint Exupéry)
Huit années de ma vie pour la formation au sacerdoce.
Pour étre un « pont » entre Dieu et les hommes ne faut-il pas mettre son coeur sur chaque berge ? Avons-nous appris la « contemplation de Dieu » ?
« Comment déchiffrer les Écritures (Ancien Testament et Nouveau Testament) »? »
Avons-nous appris grâce à Camus, Malraux, Bernanos, Kafka, Claudel… le fonds de l’âme humaine ?
« Je connais mes brebis. » D’après, mon ami berger, la psychologie des brebis n’est pas trop compliquée. Mais les humains, quel mystère ! Quelle jungle ! Quelle déconcertante météo !
Huit années ce n’était pas rien !
J’ai le sentiment d’un survol très superficiel de sociologie et d’Histoire de l’Eglise. D’où une angoisse permanente, comme un apprenti-pilote qui aurait le pressentiment que l’avion-école va s’écraser.
Huit années durant lesquelles j’ai rempli des cahiers qui, aujourd’hui, me paraissent illisibles. « Des cours de harpe tandis que Rome brûle » disait Ann Suyin au sujet de ses « humanités ».
« Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard », dit la chanson, On peut apprendre à dresser un cheval, à descendre un rapide en kayak…
Mais apprend-t-on à entendre les attentes contradictoires des adolescents ?
Un jour, au cours d’une célébration de Réconciliation (« confession »), assis sur l’un de ces rochers de l’île Maurice, face à l’océan, une parole m’est venue : « La tendresse de Dieu est plus vaste que cet océan ».
Après cette centaine de mois (8 ans) de turbulences intellectuelles, on se trouve face à un désert des âmes.
Pas de questions.
Pas d’attentes.
Pas de curiosité.
Un « no soul’s land ».
Et quand je veux faire entendre des « Negro Spirituals » à des adolescents, le curé se demande quel énergumène, on lui a donné comme vicaire ! « le Journal d’un curé de campagne » et « Le désert des Tartares » étaient de judicieuses introductions à notre sort.
J’aurais aimé écrire mon Journal. Pour aider des plus jeunes. Trop tard !
Un exemple de la solitude du prêtre face à la détresse humaine… un exemple parmi des milliers : une jeune femme vient me voir, Torrent de larmes qui bloque la parole. J’attends en silence. Je prie.
– »J’ai dit des choses horribles à mon fiancé. Il s’est jeté par la fenêtre. Il est mort. Je veux le rejoindre. Si ie me tue, vais-je le retrouver? » ,,
Silence … On est déconcerté devant tant de douleur !
Jésus, aide-moi à trouver les mots qui consolent, les mots qui offrent la paix ! Les mots qu’on n’apprend nulle part !
– »Vous le retrouverez bien plus vite en vous gardant bien vivante. Aimez cette vie reçue aussi pour d’autres ! On ne guérit pas un malheur par un malheur plus grand. »
J’espérais que ce qui était en elle bloqué, crispé, puisse devenir acceptation. La douceur d’un geste, la chaleur de la voix font parfois des merveilles.
Je l’ai écoutée dans ce petit jardin du presbytère le temps qu’elle a voulu.
Le lendemain, j’apprends qu’elle s’est jetée par la fenêtre. Elle est à l’hôpital, très mutilée.
Le prêtre est le psy du pauvre. Deux ans d’études en psychiatrie seraient plus féconds que 2 ans sur les duels de théologiens frustrés et fatigués du cerveau.
Allez… en saignant…