Chapitre 1
Lorsque le désir de faire connaître et aimer Jésus Christ m’a saisi, il n’y avait qu’une voie possible : le sacerdoce.
Mais où aller ?
–Chez les jésuites, rejoindre mon ami Guy Thébaud ?
–Chez les dominicains, j’en avais connu un, exceptionnel, à Tignes : le père Maillard ?
Deux années au séminaire d’Issy-les-Moulineaux, où j’ai côtoyé plus de deux cents jeunes séminaristes, m’ont donné un sentiment très étrange d’inadaptation à la tâche qui nous était réservée : nous devions être un pont entre Dieu et les hommes mais il me semblait que le séminaire ne nous préparait pas à rejoindre les hommes tels qu’ils sont, avec leurs langages particuliers, leurs préoccupations, leurs angoisses, leurs espérances…
Le pont était à construire. Il n’existait qu’un seul pied à cette arche d’Alliance.
Pour voir clair, je me proposais pour un stage en paroisse, à la cité des Pins, au Mans, là où je venais d’effectuer un chantier de deux mois, avec Les Castors. J’ai travaillé 3 mois sur la construction de l’église Sainte-Thérèse. Nous posions sa toiture, à 12 m de hauteur. C’était grisant mais très risqué.
Au bout de ces 3 mois, je voulus effectuer un second stage, à Colombes, cette fois. Là ce fut un échec pénible. Je ne fus invité qu’à une seule des réunions organisées par les douze prêtres de la paroisse avec les paroissiens. Chaque prêtre en animait au moins 2 par semaine. Ils m’avaient affecté à des tâches purement administratives, sans contact avec les paroissiens. Je passais mes journées le nez dans les registres de toutes sortes : baptêmes, mariages…, et à ranger le grenier…
Pour ces prêtres ordonnés, un séminariste n’était qu’un intellectuel qui brassait des idées… Ils n’avaient aucune envie de le faire participer à l’apostolat.
Après une retraite avec les Exercices de saint Ignace, je m’inscrivis, pour la rentrée d’octobre 1955, au séminaire de la Mission de France, à Pontigny.
Pontigny : Une formation nouvelle pour des prêtres mêlés au monde
J’y ai rencontré des séminaristes très différents de ceux d’Issy les Moulineaux. Ils étaient maçons, menuisiers, charpentiers, mineurs de fond, militaires, aides-soignants, éducateurs, etc.
Ce séminaire de Pontigny était une ruche. Silences rares. Repas où nous pouvions parler (à la différence des séminaires classiques de l’époque). À Pontigny, Nous n’écoutions pas, distraitement, la lecture d’un ouvrage de piété fanée, exécutée d’une voix monocorde. Mais durant une quinzaine de minutes, l’un de nous résumait l’actualité à partir des pages de quelques quotidiens.
Une vie d’équipe : base de la formation
Nous vivions en équipes et des réunions permettent des « critiques » les uns envers les autres.
Nous partagions tous la même préoccupation : Comment faire pour ne pas laisser la foi chrétienne se dénaturer dans un jargon de chrétienté ? Ceux que nous voulions rejoindre avaient des affinités avec l’Évangile mais voyaient l’Église comme un lieu totalement en dehors de la vie, un lieu d’exclusion, un lieu fermé…
Nous prenions en charge tous les travaux d’entretien de la maison. Les profs sont avec nous et participent aussi à la plonge. En ce qui me concerne, j’ai découvert les grandeurs et servitudes de la menuiserie avec l’inénarrable Pierre Pochat, puis le travail du salon de coiffure, qui était un lieu d’écoute extraordinaire.
Vacances actives dans le monde du travail
Pendant les vacances, chacun de nous se faisait embaucher, l’un sur un bateau de pêche , l’autre à la mine, un autre encore en usine… Je fus envoyé dans la Creuse. J’étais logé dans un presbytère, affecté à des tâches très variées : réparation automobile dans un garage, pose d’installations électriques, faucher, nettoyer les écuries…
J’allais parfois prier à l’église où une pensée revenait sans cesse :
– »Qu’est-ce que je suis venu faire ici ? »
et une voix me répondait en écho :
– »Et Moi donc ? »
Lisant le « Journal d’un curé de campagne », de Bernanos, je pensais : Comme il avait de la chance de pouvoir converser au sujet du sens de la vie. Où pouvais-je, moi, glisser la moindre bribe d’annonce de la Bonne Nouvelle ?
Le 14 juillet, il y eut bal au village du Monteil. Après la première danse, le curé me tira par la manche et me murmura : « Arrête, tu danses avec la prostituée du coin ! »
L’ouvrier agricole, Louis, avec lequel je travaillais, ne cessait d’interpeller bruyamment les jeunes filles qui passaient : « Venez les filles ! Il y a ici un gars qui n’a jamais servi ! »
Immuables, immobiles et muets, bienvenus !
Chaque soir, revenait la question : « Mais qu’est-ce que je fais là ?! »
Mon collègue de travail ne supportait aucun écart à la ligne de conduite professionnelle qu’il s’était fixée. Par exemple, sous prétexte qu’en accomplissant plus vite mon travail, par des moyens un peu ingénieux, je faisais gagner plus d’argent au patron, j’étais donc un traitre !…
Durant les stages et les années de formation au séminaire, des prêtres semblaient se défouler contre la formation trop intellectuelle de leurs années de séminaire. « Les ouvriers n’ont pas besoin d’un artiste dans ton genre ! »
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