Béatitudes


La gamme d’une musique nommée « Béatitude »

La Parole d’Evangile est une lumière sur le chemin. Mais comment ne pas se perdre si nous l’avons dénaturée ? Elle est le sel mais que deviendrons-nous si le sel ne sale plus ?

Tout d’abord une remarque sur le mot « Ashrey » que l’on a traduit par « Bienheureux ». Chaque mot hébreu est un diamant. Il a plusieurs facettes. Ashrey englobe bien plus que notre mot « heureux ». Il signifie : « En marche » traduit Chouraqui. Ajoutons : « Vous êtes sur la bonne route », « Vous vous réalisez ». « Un bel avenir s’offre à vous ». « Vous êtes un grand vivant ». « Vous avez trouvé la clef de l’amour »…

Nous sommes créés pour beaucoup plus que nos petits bonheurs.

Le diamant a peut-être d’autres facettes mais nous sommes loin du mot « bonheur » tel que la publicité nous l’offre à pleines pages (par ex. : « Ce n’est que du bonheur », pour une marque de fromages ou de chocolat).

Il s’agit de rien moins que du sens même de notre vie, de notre vocation. À quoi sommes-nous appelés ? À vivre les béatitudes. À jouer la symphonie des notes de cette gamme. Notre vocation, c’est l’amour.

Pas un seul verset de ce poème biblique des Béatitudes qui n’ait été dévié de sa signification ! Pas une seule note qui ne soit une fausse note !

« Bienheureux les pauvres »

est devenu un moyen commode pour maintenir en place un ordre social injuste.
« Quand un homme meurt de faim à côté d’un autre qui regorge, il faut une autorité qui lui dise… Dieu le veut ainsi, mais ensuite et pendant l’éternité le partage se fera autrement. » (Napoléon-1801).

Le mot « pauvre » dans les Évangiles est une traduction de l’hébreu « anaw ». Les pauvres ici ce ne sont pas les indigents. Ce sont ceux qui ouvrent leur cœur à Dieu, ceux qui s’en remettent à Lui, ceux qui vivent dans une confiance totale. « Père, je m’abandonne à toi ». Ces mots de Charles de Foucauld, voilà la prière des pauvres !

Thérèse de l’Enfant Jésus à 15 ans

« Le Royaume des Cieux est à eux »

Ceux-là ont accès au Royaume des Cieux. Ce mot « Royaume des Cieux » signifie le monde nouveau que le Messie est venu préparer, le monde tel que nous l’avons tous rêvé !

« Je ferai un domaine où l’amour sera loi, où l’amour sera roi, où tu seras reine » (J. Brel).

« Bienheureux les doux »

J’ai souvent cru qu’il s’agissait de ceux « qui ne font pas d’histoires ». Ceux qui se laissent plumer sans rien dire. Qui manquent de caractère. Comment pourraient-ils « recevoir la terre en héritage » ? En effet, cette expression codée évoque la mission que Dieu confie aux hommes :
« Seigneur, Tu as créé la lumière, j’ai fait la lampe,
Tu as créé l’argile, j’ai fait le vase,
Tu as créé le désert, j’ai fait le jardin. » (Mohamed Iqbal)

Cette douceur biblique est faite de calme, de maîtrise de ses émotions. Il faut une grande force pour acquérir cette douceur. Les doux commandent au pur-sang de leurs passions.

Bx Carlo Acutis – « Pas moi, mais Dieu »

Pourquoi le livre des Nombres dit-il que « Moïse était l’homme le plus doux » ? Parce qu’il supporte dans la paix les contestations les plus injustes de ceux qui veulent ruiner son autorité.

« Ils recevront la terre en héritage »
La douceur, aujourd’hui, je la vois sur les visages de la « petite Thérèse », de Martin Luther King, de Nelson Mandela, du Dalaï Lama, de Christiane Singer…

« Bienheureux ceux qui pleurent »
Bien des philosophes, à commencer par Nietzsche, ont vu dans cette phrase un encouragement au défaitisme. On va répétant que la terre est une vallée de larmes et qu’il faut se frapper le cœur pour y trouver le génie.

En cas de difficulté pour traduire un mot de l’Évangile, regardons comment et quand Jésus l’a traduit dans sa vie. Quand et pourquoi pleure-t-il ? Il pleure devant le sort prochain de Jérusalem : la destruction sera totale. Il pleure devant la tombe d’un ami, devant le chagrin des sœurs de Lazare, Marthe et Marie.

« Que cette petite fille soit consolée. Elle est aussi signe du monde » (A. de Saint Exupéry) Photo©S.Rougier


Jacques Brel disait : « L’amour, c’est quand on a mal aux autres. » C’est un grand vivant celui dont l’amour a cette intensité. « Voyez comme il l’aimait ! » disait-on de Jésus à Béthanie.

« Car ils seront consolés »

Plus de cinquante versets de la Bible dénoncent les méfaits de la tristesse. « J’ai mis devant toi la mort et la vie. Choisis la vie ! » (Dt. 30,19). « Que cette petite fille soit consolée. Elle est aussi signe du monde » (A. de Saint Exupéry, Citadelle).

« Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la Justice »
« Justice » ! Comme ce mot est famélique pour désigner l’hébreu « Tsadaka ». Il s’agit du Plan de Dieu, de Son Projet. Il y a une forêt près de Jérusalem : la forêt des « Justes » : ceux qui ont risqué leur vie pour sauver leurs frères humains menacés d’extermination ont un arbre qui leur est dédié.
Les justes ne peuvent pas supporter que l’on abîme un homme.

Vitrail d’une petite chapelle québécoise : Prendre soin du blessé sur la route de Jéricho Photo Stan Rougier

Ils ne supportent pas non plus que l’on abîme Dieu.

Ces deux faims, ces deux soifs sont liées, accordées, dépendantes l’une de l’autre. La « Justice » c’est la justesse, le respect, le dévouement, la générosité. La Tsadaka est si vitale, si précieuse, qu’il importe d’être saisi aux entrailles pour elle, comme lorsqu’on a faim ou soif à en mourir. Comme nous sommes loin de l’équité ou d’une juste répartition d’un héritage !

« Ils seront rassasiés »

 Il n’est pas dit que ce sera dans l’autre monde. Non ! Dès ici-bas ils peuvent voir la réalisation de leurs efforts. Parfois ce seront d’autres qui la verront (Martin Luther King).

« Bienheureux les miséricordieux »

Le mot « Rahamim » est un des cinq mots les plus beaux de toute la Bible. Notre traduction française a pris du plomb dans l’aile : elle évoque la clémence, l’indulgence du père, la pitié…

Rahamim : il s’agit d’un pluriel de plénitude du mot « utérus », Rehem : « ventre maternel », un espace où un germe de vie va devenir un être humain. La générosité de la mère va permettre à un vivant, unique, d’advenir. « Soyez des mamans les uns pour les autres » demandait François d’Assise à ses disciples.

« Soyez miséricorde comme votre Père, Lui qui donne Son Soleil et Sa pluie sur les méchants comme sur les bons » encourageait Jésus. Ce que le soleil et l’eau sont à la plante, soyez-le pour votre prochain. « Aimer », c’est cela ! Avant tout.

Rembrandt – Retour de l’enfant prodigue

Comme dans la parabole d’Ezéchiel, où un prince ramasse une petite fille d’un jour dans un champ et lui dit : « Tu vivras. Tu t’épanouiras comme les fleurs des champs » (Ez 16). Ce prince, c’est Dieu. Dieu qui parle à chacun de nous.
Il n’y a rien de plus grand au monde que de permettre à quelqu’un d’exister, de devenir ce qu’il est. Le soleil et la pluie ne posent aucune condition et ne demandent rien à la plante sinon de grandir. « Chacun de nous abrite un Seigneur endormi qu’il importe de libérer de sa gangue » (Antoine de Saint-Exupéry).

« Ils recevront la miséricorde »

Celle de Dieu bien sûr ! Elle était déjà là mais il faut que le cœur soit ouvert pour la recevoir. « Ce que vous faites au plus petit c’est à Moi que vous le faites ». Tu donnes un peu de tendresse humaine, la Tendresse divine alors te pénètre tout entier. Le débiteur impitoyable de la Parabole n’a aucune compassion pour son prochain. Il se rend incapable d’accueillir la compassion de Dieu pour lui-même.

« Bienheureux les cœurs purs »

Dans mon enfance la pureté ne concernait que le sexe. Les actes impurs conduisaient en enfer. L’enfer privait de la vision de Dieu. Selon la Bible il importe de changer sans cesse notre cœur de pierre, le cœur du « Tout à l’ego », le cœur qui abrite des penchants mauvais, le cœur qui fait des procès d’intention, pour laisser battre en nous un cœur de chair.

Le cœur pur est dans la droiture, l’absence de fausseté. Il ne plaque pas sur les autres des caricatures qui tuent. Ceux qui ont voulu la mort de Jésus le voyaient comme un imposteur. Sa bonté elle-même était perçue comme l’œuvre du Mauvais.
Ceux qui ont un marteau dans la tête voient partout des clous. Lorsque le cœur est plein de boue, on salit tout ce qu’on touche. « Purifiez vos cœurs, âmes partagées » écrivait l’apôtre Jacques (Jacques 4,8)

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Le cœur dans la Bible, c’est le sujet avec sa liberté, son choix, sa vérité profonde. De là vient l’amour. De là vient aussi l’envers de l’amour. « Du cœur montent les plans cruels, les meurtres, les adultères, les débauches, les vols, les faux témoignages, la diffamation. » Mt 15,19 – Le cœur pur c’est un être sans pli (simple), authentique.

« ils verront Dieu »

« Bienheureux les artisans de paix »

Il ne s’agit pas là des « bons types » qui veulent être en paix avec tout le monde et encore moins de ceux qui veulent qu’on leur « fiche la paix ». Il s’agit des réconciliateurs. « Je vous enverrai le prophète Elie. Il ramènera le cœur des pères vers les fils et le cœur des fils vers les pères. » (Malachie 3,23). Il s’agit de ceux qui n’ont pas choisi un camp contre un autre mais qui écoutent battre les cœurs dans les deux camps. Ils sont à la fois du côté des Israéliens et du côté des Palestiniens. (Je pense au livre d’Avraham Burg : Vaincre Hitler)
Rien n’est plus difficile que cette tâche. Beaucoup y ont laissé leur vie (Gandhi, Martin Luther King, Mgr Romero, Yitzhak Rabin…) Personne ne regarde volontiers les « bonnes raisons » de son adversaire !

« ils seront appelés fils de Dieu »
« Fils de » est une expression qui indique un trait de caractère. Comme un totem. Fils du tonnerre : « sans concession » ! Enfant de lumière : « lumineux ». « Fils de Dieu » : « amour, comme Dieu ». « Si je n’ai pas l’amour, j’aurais beau posséder toutes les sciences, parler toutes les langues, donner tous mes biens, avoir la foi à déplacer les montagnes, me faire brûler tout entier, cela ne servirait à rien. S’il me manque l’amour je ne suis rien » (D’après saint Paul – Lettre aux Corinthiens 13,1).

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