Année nouvelle, espérance renouvelée


HOMÉLIE de STAN ROUGIER, La Flatière, 1er janvier 2017

Parmi les cinq textes de la messe de ce jour, voici une parole précieuse : l’ouverture de la Lettre aux Hébreux. « Dieu a parlé à nos pères à plusieurs reprises, par les prophètes. Mais maintenant, à la fin des temps, Il nous a parlé par Son Fils… Le Fils reflète la splendeur de la Gloire divine. (He 1,1)»

Pendant quinze siècles. Dieu fait alliance. Prodigieuses lectures de 47 livres de la Bible. Il épouse un peuple : Israël. Au chapitre 16 d’Ezéchiel, cette histoire d’amour est résumée. Dieu nous dit à chacun, comme le prince à la petite fille ramassée au jour de sa naissance sur le bord d’un chemin : « Tu vivras, tu t’épanouiras comme les fleurs des champs[B1] [B2] . »

(carte Coll. ©Stan Rougier)

Michel Boujenah, dans un sketch, fait dire à Dieu : « Depuis le temps que J’écoute leurs prières, J’aimerais tellement qu’ils écoutent les miennes ! » Dieu, bien avant Martin Luther King, a crié : « I have a dream ! » La première supplique de Dieu, c’est d’être entendu : « Ecoute Israël ! »

Dans les confidences des couples que je reçois depuis cinquante-six ans que je suis prêtre, j’entends : « Il ne m’écoute pas ! »… « Elle ne me comprend pas ! » Lorsqu’on s’aime « pour de vrai », on pourrait dire à l’autre : « À mesure que tu parles, j’existe ! » D’ailleurs, en hébreu « parole » (Dabar ) et « accouchement » (Bara) ont la même racine.

(Photo ©Stan Rougier)

Par Sa Parole, Dieu expose Ses Projets pour l’humanité. Par Sa Parole, Dieu répond à nos questionnements essentiels : « D’où venons-nous ? » : Du cœur de Dieu. « Qui sommes-nous ? » : Des personnalités originales et libres en stage d’amour. « Que devenons-nous après ce stage ? » : Des êtres lumineux, aptes à nous émerveiller ensemble, là où « il n’y aura plus ni cris, ni peine, ni larmes, ni mort ».

Dans un très beau texte du prophète Néhémie, nous voyons un flux et un reflux du destin du peuple de l’Alliance (Ne 9). Lorsque le peuple d’Israël écoute la Parole de Dieu, il vit dans le bonheur, dans la paix. Lorsqu’il fait la sourde oreille aux Projets de Dieu, lorsqu’il n’écoute pas Ses confidences, les désastres s’accumulent. Le peuple devient friable. Il est à la merci de ses ennemis.

Dieu est amoureux de ce peuple. Il rêve de le voir s’épanouir, se réaliser. Il lui répète : « Choisis la vie ! », « Aime et tu seras un grand vivant ! » Le malheur étant devenu trop grand, un prophète bientôt criera : « Ah, si Tu déchirais les cieux et si Tu descendais ! »

(Photo ©Stan Rougier)

Au bout de plusieurs siècles, Dieu choisit une toute jeune fille de Galilée. Ce qui frappe le plus chez elle, c’est son amour de la Parole de Dieu. Dans son Magnificat, elle se souvient  de cinq citations de la Bible. C’est un vrai florilège. Elle pouvait dire comme Jérémie : « Ta Parole était mon ravissement, la joie de mon cœur. » Alors, la Parole de Dieu va prendre corps en elle. L’Histoire de l’Alliance prend une tournure nouvelle. Le Messie annoncé, le « Mashiah », (l’ « imprégné de Dieu ») va clarifier le Message. Le Dieu d’Abraham, Isaac, Jacob, le Dieu de Moïse et d’Elie ne dira plus qu’un seul mot : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. ECOUTEZ-LE ! »

Retenons bien cette demande. Avant, c’était à Israël qu’elle était confiée. Cette fois, c’est à l’Univers tout entier. C’est à chacun de nous. Thérèse de Lisieux, lorsqu’elle voit le mot « Israël » dans la Bible, ose y placer son prénom.

Que faisait Jésus durant son adolescence et sa jeunesse ? Il n’a pas seulement appris à manier la varlope et le rabot avec Joseph, il a appris la Parole de Dieu. Dans ce peuple, le premier catéchète, c’est le Père. Jésus deviendra tout entier « Message de Dieu »…

Mangeoire de la grotte de la Nativité à Bethléem (Photo©Stan Rougier)

Hélas, il va se heurter, dès l’âge de douze ans, aux docteurs de la Parole. Comme Jeanne d’Arc s’est trouvée confrontée aux théologiens de la Sorbonne. L’affrontement dans les deux cas repose sur la façon d’interpréter la Parole de Dieu. Dis-moi comment tu traduis, je te dirais quelle est ta foi.

Un jour, pendant la guerre d’Algérie, deux soldats ayant capturé un adversaire, téléphonent à leur capitaine : « Qu’en fait-on ? » « Descendez-le ! », fut la seule réponse qu’ils purent entendre. Le capitaine leur demandait de conduire le prisonnier à son poste de commandement, un peu plus bas. Les soldats ont effectivement “descendu” leur prisonnier, mais d’une tout autre façon ! Ce triste événement a été raconté dans un film, L’honneur d’un capitaine.

Peut-être que cet affrontement entre Jésus et les docteurs de la Loi est notre chance. Tout d’abord, les disciples que nous sommes sont ainsi constamment invités à ne pas tomber dans le piège du fondamentalisme. Les conséquences sont trop graves. Dès le péché originel, l’homme est un dénicheur de coupables : Adam accuse Eve, Caïn accuse et tue Abel…

Lisez la légende du Grand Inquisiteur de Dostoïevski. L’Inquisiteur de Séville fait arrêter Jésus, revenu sur terre, et lui fait un long procès : « Pourquoi as-tu introduit le désordre de l’amour ? Les hommes veulent de l’ordre, pour leur sécurité. » Le plus étrange est que cette fausse interprétation de la Parole de Dieu continue à travers les siècles… Jésus avait mis en garde pourtant : « Vous filtrez le moustique et vous avalez le chameau. »

Tabiye (Terre sainte) (Photo ©Stan Rougier)

Vous êtes obsédés par des détails et vous vous désintéressez de l’essentiel. C’est à ce sujet qu’il aura ses paroles les plus fortes. Qui sont ceux qui scandalisent les petits ? Ceux qui empêchent le petit peuple d’accéder à la Tendresse de Dieu, par une multiplication abusive de règles… Pensons à la colère des scribes et des pharisiens lorsque Jésus veut guérir un infirme le jour de Shabbat ! Ce jour-là, « ils se concertèrent pour savoir comment s’en débarrasser. »

Le père Finet –lors d’une retraite à Châteauneuf en 1957, au cours de laquelle je rencontrai Marthe– nous disait : « Nous sommes ici pour entendre : “On nous change la religion !” Pour que les trois axes principaux des valeurs soient mieux défendus : Tsadaka (sainteté), Emet (authenticité), Rahamim (miséricorde, tendresse).

soleil levant sur le maquis corse (Photo ©Stan Rougier)

Demain, vous retournerez chez vous, là où vous avez été semés. À moins que vous ne viviez en petites cellules fermées, vous serez tournés en ridicule si vous exposez votre foi sans ménagement, sans joie, sans une extrême humilité… Ne regardez pas les athées avec un regard noir ou arrogant ! Vous seriez comme eux si vous n’aviez pas rencontré le scoutisme, ou Evène, ou tel prêtre ou tel témoin de l’Évangile…

Un jour, un athée voulut se chercher un coach pour imiter ses amis croyants, qui avaient tous un conseiller spirituel. Il souhaitait mieux fonder son athéisme. On lui signala un vieux sage qui vit reclus quelque part dans la montagne.

Le sage le reçut poliment et l’interrogea : « Vous avez lu les Upanishad ? – Les quoi ? Non ! Je n’ai pas lu ça. » ; – « Vous avez lu l’Ancien Testament ? » – « Non ! Qui c’est qui a écrit ça ? » ; « Le Coran ? » –« Non ! » ;  « Les Evangiles ? » – « Non ! » ; « Mais, monsieur, vous n’êtes pas athée, vous êtes ignorant ! »

En réalité, l’athéisme est rarement serein. Je corresponds avec Jean d’Ormesson, il en donne souvent le témoignage. C’est difficile de se croire quelqu’un lorsqu’on pense que l’on vient de rien pour retomber dans rien. Romain Rolland se plaignait : « Je ne puis dire à quel point mon époque était déicide ! Et comme mon âme était naturellement religieuse, c’est moi-même, sans le savoir, que l’on tuait. »

Ne jugez pas mal ceux qui vous disent : « La religion c’est nul, c’est ringard, c’est une source de conflits… » Ne vous laissez pas déconcerter !

« Je croirais en leur Sauveur s’ils avaient des têtes de sauvés ! », disait Friedrich Nietzsche. Souvenez-vous des propos de Jésus : « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel devient fade, les passants le piétinent ! » La laïcité à la française, voilà un piétinement qui fait du bruit. Ces propos nous interrogent : « Ne serions-nous pas parfois tièdes ? Fades ? Un peu trop coincés ?… » La religion est comme le cholestérol, l’un tue l’autre fait vivre !… Jésus en est mort… Une religion contre l’homme est assassine.

Par tendresse, par compassion, n’hésitons pas à partager notre foi, surtout lorsque des retraites nous ont permis de la purifier. Une laïcité étroite comme celle d’aujourd’hui rend l’humanité orpheline de Dieu. Elle « jette le bébé avec l’eau de son bain ». J’ai mal à cette humanité qui ne sait à quelle étoile accrocher son destin…

Mauritanie (Photo ©Stan Rougier)

Ayons compassion des prêtres qui, à force d’entendre : « Raccourcissez vos sermons, vous nous saoulez ! », à force de n’avoir aucun écho après une homélie, une conférence, ni même une question pour mieux comprendre la Parole de Dieu, de n’avoir aucune invitation pour discuter, finissent par émietter leur enthousiasme et se laisser affadir. Certains même décrochent… Nous avons les poches bourrées de diamants et on nous les demande si rarement ! « Un prêtre ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. »

Je confie à vos prières ceux de mes confrères qui nous ont quittés pour rejoindre leur maison d’éternité…

Stan Rougier

Prêtre, écrivain, conférencier

Pour continuer le dialogue : stanrougier.site@hotmail.com

Page FB : Stan Rougier « Dieu est Amour ».

Voir aussi sur You Tube : « L’amour comme défi » (KTO TV)


 

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