La France tout entière a revêtu ses habits de lumière. Le plus athée des hommes signale les événements à partir du premier Noël de l’histoire : Avant ou Après Jésus-Christ. « La seule fontaine rafraîchissante, écrivait Antoine de Saint Exupéry, je la trouve dans certains souvenirs d’enfance : l’odeur des bougies des nuits de Noël. C’est l’âme aujourd’hui qui est tellement déserte. On meurt de soif…[1] »
La crise spirituelle qui désespérait Saint Exupéry, il y a quatre-vingt dix ans, n’a fait que s’aggraver. Des films et des pièces de théâtre s’acharnent à notre époque contre le visage du Christ. « Si le sel s’affadit, il n’est bon qu’à être piétiné par les passants. » Les passants ne s’en privent pas. Le sel se serait-il affadi ?
Plutôt que de crier au blasphème peut-être que chaque baptisé peut s’interroger sur son courage à témoigner de sa foi.
Nous cherchons un sens à l’aventure humaine. À Noël, un cadeau nous est offert : Dieu vient répondre aux trois questions qui nous tourmentent : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
Jésus accomplit les textes de la Première Alliance, il en tire des trésors. « Le shabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le shabbat [2] . » Tout prend sa vraie place. La raison s’incline devant l’amour. « On ne voit bien qu’avec le cœur », manifestait Saint Exupéry, à la suite de saint Augustin.
Jésus donne à tout une saveur, un enthousiasme, une présence, un sens. Tout ce qu’il touche échappe à l’ennui, à la fadeur, à l’absurde.
Une de ses demandes les plus fortes ne cesse de m’émerveiller. Je la résume ainsi : « Soyez pour chaque être humain ce que le soleil et la pluie sont pour la plante. » Tout l’enseignement des prophètes est ici résumé ! En effet, l’eau et la lumière n’imposent rien à la plante, elles lui permettent d’exister selon son espèce. Tout l’amour est ici célébré ! Un amour gratuit qui respecte l’originalité de l’être aimé. Jésus est venu délivrer l’amour de ses contrefaçons.
Jésus nous libère aussi des fausses images de Dieu : le Dieu terrifiant, source de névroses, ou le Dieu magicien dont on invoque les bonnes grâces pour se dispenser de l’aventure et du risque. Il réveille notre part divine, notre âme. La prière devient dialogue amoureux, cœur à cœur où l’on vient puiser la force d’aimer. Dieu ne nous épargne pas les déceptions ou le deuil. Ce sont des éléments de la condition humaine. Il peut en revanche donner un sens prodigieux à nos épreuves et le courage pour les endurer. « Tout sert au bien de ceux qui aiment Dieu [3]. »
Je crois sans peine en sa résurrection. Si son corps avait été retiré du tombeau, le linceul collé aux plaies multiples ne se serait pas retrouvé là, telle une montgolfière affaissée en fin de vol. Les apôtres n’auraient pas crié : « Il est vivant ! » au risque d’être suppliciés jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Il y eut, au cours des siècles, plus de vingt messies dont l’aura fut plus prestigieuse en leur temps que celle de Jésus de Nazareth. On n’entend plus parler de ceux-là.
Messie crucifié, torturé, traîné dans la boue, jeté aux ordures, innommable, il m’apparaît sur sa potence dans sa plus noble grandeur. « Heureux celui qui meurt d’aimer. » Il a montré que la torture, l’injustice et la mort n’ont pas d’autre pouvoir sinon de souligner la victoire absolue de l’Amour. Ce n’est ni la crise, ni la haine, ni la guerre, ni la mort qui auront le dernier mot, c’est le Royaume nouveau où « il n’y aura plus ni cris, ni larmes, ni souffrances, ni mort [4]. »
Nous voyons en Jésus un Messie imprégné d’un Amour divin. Ce Dieu-là n’est tout-puissant qu’en tendresse. Il a remis tout autre pouvoir entre nos mains durant notre temps terrestre. Dire « Dieu n’a qu’une excuse, c’est de ne pas exister » se justifie devant le Zeus de l’Olympe, mais pas devant ce prêcheur humble et doux dont les actions et les paroles ne furent que bonté.
Au lieu de dire qu’Il est manchot, prêtons-Lui nos bras. Au lieu de dire qu’Il est muet, prêtons-Lui notre voix et notre plume. C’est à nous d’exaucer Ses demandes et non l’inverse. Lui, Il peut nous “ex-hausser”, c’est-à-dire nous faire voir de plus haut le sens de notre route.
Jésus a pris des risques insensés pour guérir les plus infirmes, prendre la défense des plus exclus, récupérer les irrécupérables. Ce comportement lui a coûté son honneur et sa vie.
Il a perdu la face pour nous rendre un visage.
Il a montré que nous sommes réduits à l’état de momies lorsque nous n’aimons pas, lorsque nous jugeons, lorsque nous ne pardonnons pas, lorsque la rancune nous dévore, lorsque nous ne prenons pas en main la cause des humiliés.
Il nous a donné le goût de vivre une authentique liberté, sans dépendre des conformismes, des tabous sociaux ou religieux. Il nous a ouvert le chemin des Béatitudes pour exister grandeur nature.
Peut-être avons-nous besoin pour nous réjouir tous ensemble d’un tel cadeau, de l’odeur d’un sapin, des bougies et d’une bûche aux marrons.
Mais comme ce serait triste d’oublier Celui dont c’est aujourd’hui l’anniversaire !
Stan Rougier
[1] A. de Saint-Exupéry, Lettre d’Orconte, 1940, Ecrits de guerre, p 105.
[2] Mc 2, 27-28.
[3] Ro 8, 28.
[4] Ap 21, 4.