Une main de fer dans un gant de fer


Aron Jean-Marie Lustiger… Que de facettes !

Je le rencontre en 1955, lors d’un pèlerinage étudiant à Rome. Il vient d’être ordonné. J’hésite, personnellement, à continuer le séminaire. Plus tard, dans un restaurant d’Assise, il me tient des propos émouvants sur l’idolâtrie – grande blessure de l’homme.

Je retrouve « Lulu » aumônier au pèlerinage de Chartres. À Esclimont, tandis que j’écoute des confessions, sa voix de tribun retentit. Il impressionne par son autorité naturelle. Le clergé parisien aime le nommer : « Une main de fer dans un gant de fer » (non je ne me suis pas trompé). Nous dînons parfois chez des amis communs en vacances au Pays basque.

Un jour, il découvre chez eux un livre pour enfants sur Jésus, illustré, sur l’une des pages par le dessin d’un pharisien face à Jésus. Le nez du pharisien était à peine plus prononcé. Cela a pourtant mis en transe notre ami cardinal. Il a jeté le livre à travers la pièce, en lançant avec colère : « Au pilon cette saloperie ! » Heureusement, si j’avais bien écrit le texte, je n’étais pour rien dans l’illustration !… Mais qu’y avait-il donc dans cette image qui pût justifier cette « sainte colère » de mon ami Lustiger ?

Lulu me parla, une autre fois, avec beaucoup de chaleur pour me commenter les modifications artistiques qu’il faisait à l’autel de son église de la Porte Champerret. Il me confia le soin d’un mariage en Bretagne qu’il aurait dû célébrer. Cela me donna l’occasion de renforcer de très beaux liens. Il me sollicita pour me joindre à son équipe de vicaires. Craignant son autoritarisme je me dérobai.

Sa gouaille de titi parisien m’avait séduit au début. Je le vois m’abordant un jour avec ces propos inattendus chez un cardinal « Qu’est ce que tu fous là ? » C’était à mes yeux un signe d’amitié. À cette époque, il me tançait : « On ne t’a pas voulu à l’aumônerie du CEP ? Dommage ! Il fallait me le demander ! »

Ah, Jean-Marie, nous avions convenu d’une interview pour La Croix lorsque tu as été nommé évêque d’Orléans… Pas de chance, quand la date du rendez-vous fut fixée, tu venais d’être nommé évêque de Paris et… tu n’étais plus disponible.

Et puis, 27 ans plus tard, j’appris que tes jours étaient comptés. Je projetai de te rendre visite sans attendre. Je suis arrivé une heure trop tard ! Tu venais de partir avec Jésus.

Je pense que nous reprendrons nos échanges sous des cieux toujours bleus.

Tu étais un sacré bonhomme mais ta dimension rendait le contact difficile…Tu nous dépassais de trop de coudées !…

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