Il y a 75 ans… Saint Exupéry


Le 31 juillet 2019 n’est pas une date quelconque. C’est le 75e anniversaire du jour où Antoine de Saint Exupéry est entré dans son éternité, mort pour la libération de la France.

Antoine de Saint Exupéry

Depuis soixante-dix ans, je m’interroge : Pourquoi Dieu s’est-Il servi de la prose de Saint Ex pour frapper à ma porte[1] ? Il y a peut-être une explication simple : nous avons été nourris dans diverses écoles catholiques, lui et moi, à la même source. Saint Ex a su réveiller des graines d’Évangile enfouies grâce à un langage nouveau. Le vocabulaire de mon catéchisme me laissait de marbre. Antoine de Saint Exupéry donna au message christique « des mots qui mordent » : 

« Restaurer l’homme. C’est lui l’essence de ma culture, c’est lui l’essence de ma communauté… » Que de problèmes actuels trouveraient une lumière réconciliatrice dans certaines de ses pages !…

 « Faire de chaque homme l’ambassadeur d’un même prince », 

« Ma civilisation est héritée des valeurs chrétiennes », 

« Exprimant Dieu, les hommes étaient égaux dans leurs droits. Servant Dieu, ils étaient égaux dans leurs devoirs », 

« L’amour de Dieu fondait entre les hommes des relations nobles »,

« La grandeur de ma civilisation, c’est que cent mineurs s’y doivent de risquer leur vie pour le sauvetage d’un seul mineur enseveli »… (Pilote de guerre, XXVI).

En aumônerie étudiante et auprès des lycéens, j’ai constaté combien des orientations spirituelles ou éthiques peuvent être mieux reçues lorsqu’elles sont offertes par des « passeurs d’idéal » comme Antoine de Saint Exupéry, que lorsqu’elles sont proposées « d’en-haut », par une Église…

Antoine de Saint Exupéry, héros national, gloire au hit-parade de la littérature mondiale, jouit d’une cote de popularité toujours plus forte[2].

À l’heure actuelle, où notre pape engage, depuis six ans, ses « divisions[3] » sur l’accueil des « périphéries », il semble extrêmement précieux de saisir les intuitions de quelques penseurs, plus célèbres hors de l’Église qu’en son sein, qui constituent de véritables passerelles entre l’Évangile et le monde moderne du XXIe siècle. Teilhard de Chardin, Khalil Gibran, Antoine de Saint Exupéry sont de ceux-là.

Certains cénacles aiment répéter que Saint Ex n’avait pas la foi. Comme si la foi était un diplôme ou un compte en banque… Nourri de saint Augustin et de Blaise Pascal, plus que de Nietzsche, l’aviateur-prophète a transporté ces graines et leur a donné de magnifiques expressions : « On ne voit bien qu’avec le cœur », « On ne connaît que ce que l’on apprivoise »…, reprises par des millions d’hommes à travers la planète…

Sa foi pourrait n’avoir été qu’une toute petite braise, mais il l’a gardé allumée jusqu’au bout de sa vie, et une braise suffit pour allumer un flambeau…

Dans le livre Mystique sans la foi, Clément Borgal se demande si Saint Ex souffrit de sa « perte de la foi catholique ». L’étude attentive de son œuvre durant soixante-dix ans me permet de dire : Oui, Antoine a souffert, bien plus qu’on ne l’imagine, de l’éloignement de sa ferveur première. « Et je connus l’ennui qui est d’abord d’être privé de Dieu », « Je n’ai été heureux que dans l’enfance »…

Il écrivit un jour à sa mère qu’elle était peut-être la seule à connaître le fonds de son âme. (Lettres à sa mère, p. 155). Sa mère était d’une foi qui renverse les montagnes et d’une piété profondément enracinée, comme l’expose Mme Persane-Nastorg dans L’étoile du Petit Prince.

À quels rayons X passera-t-on le cœur d’Antoine de Saint Exupéry pour affirmer que les mots « Je crois en Dieu » n’y seraient pas inscrits ? Prêtre depuis cinquante-neuf ans, je ne cesse de rendre grâces à Dieu pour les pages du Petit Prince, de Citadelle, de Pilote de guerre, de Terre des hommes, qui m’ont conduit à Lui.

Dans Citadelle, la transcendance du Dieu d’Abraham et de Moïse est mise en lumière. Le silence de Dieu est désigné comme signe de respect envers l’homme. L’âme humaine est habitée par une soif que seul un Dieu peut étancher. Et c’est indéniablement aux valeurs portées par les Évangiles que le seigneur du désert donne la primauté.

« D’aimer Dieu, je m’en vais à pied sur la route boitant durement pour Le porter d’abord aux autres hommes… Et je suis nourri de ce qu’Il donne à d’autres » (Citadelle, LV, p. 647).

Photo ©Stan Rougier

Deux paroles de saint Jean nous éclairent :

« Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu » et « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Ces mots ne trouvent-ils pas un bel écho dans le sacrifice de cet homme qui refusait tous les postes à l’arrière du front, qui lui auraient permis de sauver sa vie.

« Le disparu, si l’on vénère sa mémoire, est plus précieux et plus puissant que le vivant » (Citadelle).

Stan Rougier

Prêtre, écrivain, conférencier

La Croix, 31 juillet 2019 

[1] Cf. Que peut-on dire aux hommes ?, Mame, 2017.

[2] Traduit en 393 langues.

[3] Allusion au propos de Staline à Churchill: « Le pape ? Combien de divisions ? »