Quand Notre-Dame appartient au monde entier


FIGAROVOX/TRIBUNE – L’écrivain Stan Rougier a vu dans l’incendie de Notre-Dame la rencontre du spirituel et du temporel, de Dieu et de la littérature. Pour lui, un souffle d’espérance est venu traverser beaucoup de catholiques.
Stan Rougier est prêtre, écrivain et conférencier.
Notre-Dame, avant l’incendie

De François Villon à Paul Claudel, il y a un lien entre les poètes français et la Vierge Marie.

«Vous portâtes, digne Vierge princesse,

le Tout-Puissant prenant notre faiblesse

Laissant les cieux et nous vint secourir…

En cette foi je veux vivre et mourir.»

Théophile Gautier nous offre un hommage de plus de trente strophes dédiées à la cathédrale Notre-Dame de Paris. En voici quelques lignes:

«Le Seigneur habite en toi, monde de poésie en ce monde de prose.

À ta vue on se sent battre au cœur quelque chose…

Les jumelles tours, ces cantiques de pierre

semblent les deux grands bras que la ville en prière

avant de s’endormir, élève vers son Dieu»

Pendant les turbulences de la Révolution, on en fit de vulgaires entrepôts. Napoléon et Victor Hugo l’ont sauvée…

Peu de lecteurs du Petit Prince connaissent les pages de «Courrier Sud» où le pilote désespéré Jacques Bernis écoute un sermon à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le sermon est un cri d’amour de Jésus pour l’humanité. Le curé lui prête sa voix: «Vos efforts vains de chaque jour, qui vous épuisent, venez à Moi, Je leur donnerai un sens. Ils bâtiront dans votre cœur. J’en ferai une chose humaine… Je suis le seul qui puisse rendre l’homme à lui-même… Car Je suis Celui qui S’est émerveillé de l’homme.»

Que de pages de Citadelle sont vouées à célébrer la cathédrale, un lieu qui «ne sert ni à la cuisine ni à l’assemblée des notables mais à l’agrandissement du cœur de l’homme»!…

Si vous bâtissez un temple où la douleur due aux ulcères devient cantique et offrande, où la menace de mort devient port entrevu pour entrer dans les eaux enfin calmes, croiriez-vous avoir gâché vos efforts?»

C’est à la cathédrale Notre-Dame de Paris que le jeune poète athée Paul Claudel s’est écrié le 25 décembre 1886: «Et voici que Tu es devenu Quelqu’un tout à coup!»

Pendant les turbulences de la Révolution, on en fit de vulgaires entrepôts. Napoléon et Victor Hugo l’ont sauvée… À la Libération, la cathédrale Notre-Dame a résonné d’un Te Deum et d’un Magnificat, où tous s’étaient mêlés, ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n’y croyaient pas, pour célébrer avec solennité la joie de la victoire sur la barbarie nazie…

«Pourquoi Dieu a-t-il permis cela?» interrogeaient les Parisiens éplorés, en prière sur les quais de l’autre rive. «Marie, pourquoi n’interviens-tu pas?», interpellait Bernard Pivot. Me sort du cœur devant ce désarroi: Dieu ne permet que l’on efface que lorsqu’Il veut écrire.

Il s’est passé quelque chose de peu commun ce 15 avril 2019, dans notre pays. À l’instant où l’incendie faisait rage sur Notre-Dame une bouffée d’Espérance a traversé beaucoup de catholiques… Notre-Dame soulevait à travers le monde ce soir-là un élan incroyable d’affection et de solidarité, un cri d’amour parcourait la planète: «Notre Dame appartient au monde entier».

Il s’est passé quelque chose de peu commun ce 15 avril 2019, dans notre pays.

Comment ne pas être bouleversé par la compassion universelle, sans faille, de tous, croyants et agnostiques, cette nuit du 15 avril à Paris. Un sentiment de consolation et de douceur dans les bras de la Dame qui rassemble, dans une si belle communion fraternelle, chrétiens, juifs, musulmans et agnostiques…

Elles étaient loin tout d’un coup les polémiques sur les racines chrétiennes de l’Europe!… Devant les flammes qui saccageaient ce joyau de notre histoire, les agnostiques, les indifférents pleuraient côte à côte avec les paroissiens de Notre Dame!… Ce soir-là le Grand rabbin pleurait avec l’archevêque.

Que s’est-il passé cette nuit du 15 avril? Un miracle?…

Du haut de ces tours huit siècles de prières veillent sur les Parisiens et sur la France.

Au-delà, bien au-delà des aspects matériels de cette aventure, si précieux soient-ils, au-delà de la beauté si majestueuse de l’édifice construit à mains nues, il y a huit cent ans, grâce à la foi des bâtisseurs, c’est au cœur que cet incendie a touché tous les Français et bien d’autres encore.

Les sanctuaires dédiés à Notre-Dame à travers le monde entier accueillent chaque année des millions de pèlerins. (six millions à Lourdes, neuf à Lujan, vingt à Mexico…)

Gratitude à tous les «soldats du feu» qui ont risqué leur vie pour sauver ce trésor inestimable de l’humanité entière! Lorsque je prêchais, il y a quelques années, à la messe télévisée célébrée en hommage aux pompiers de Paris, j’étais particulièrement ému par ce couplet de leur prière: «Qu’en toute personne qui crie à l’aide je vois l’image du Christ Jésus!»…

Stan Rougier

FigaroVox, 18 avril 2019