Mandela et son rêve arc-en-ciel


MANDELA ET SON RÊVE ARC-EN-CIEL

coll. « cartes postales spiritualité » ©Stan Rougier

Le monde entier célèbre en Nelson Mandela un héraut exceptionnel de la réconciliation. 

Derrière cet engagement si fort, se trouvent les racines d’une foi profonde d’ordre spirituel, où se côtoient Jésus, Gandhi et Martin Luther King.

Je logeais, en été 2000, chez un ami prêtre à Pretoria. Il me montra un soir une cassette vidéo surprenante. 

Ce curé de paroisse avait invité le Prix Nobel de la Paix au chevet d’un enfant de douze ans, de la communauté Afrikaner – prénommé Nelson, lui aussi –  atteint d’une maladie incurable. Le grand rêve de cet enfant était de rencontrer Nelson Mandela.

Ni la presse, ni la télévision n’ont capté ces propos. Mais cet entretien a été enregistré en vidéo par le frère de mon ami. Voici un court extrait de ces paroles étonnantes :

  • « Nelson, je ne sais pas si tu es athée ou si tu crois qu’il y a un Être supérieur, divin, responsable de la Création. Si tu possèdes cela, alors tu as quelque chose de très fort à quoi te raccrocher. Beaucoup ont été capables de traverser les épreuves les plus rudes parce qu’ils avaient la foi…
Soweto – Photo ©Stan Rougier

 Le prêtre me dit que tu es un de ceux qui ont la foi et qui n’ont peur de rien !

J’ai à présent quatre-vingts ans et la route devant moi est plus courte que le chemin parcouru. Malgré que je sois proche de ma fin, je demeure optimiste avec le moral au plus haut parce que je me dis : “J’ai vécu ma vie.”

J’ai confiance en toi, Nelson ! Je suis venu ici en esprit de solidarité pour te donner plus de force, et te faire savoir que tu n’es pas seul. Comprends-tu ce que je veux te dire ?… »

Mandela invita alors le prêtre à faire une prière spontanée, jaillie de son cœur, ce que fit mon ami avec une extrême intensité. 

Je ne laisserai plus dire désormais que Nelson Mandela était agnostique.

Mandela reçut une formation chrétienne dans sa jeunesse. « Je n’ai jamais abandonné mes croyances chrétiennes », a-t-il révélé à l’un de ses amis.

On a souvent dit que son poing levé signifiait la haine, or, il s’agissait d’un signe de ralliement : « Tous unis comme les doigts de la main ! » 

Le massacre de Sharpeville en 1960, où la police, tirant sur les manifestants désarmés, tua soixante-neuf personnes, et en blessa deux cents autres, lui fit abandonner quelque temps cette stratégie pacifique. 

« Un moment arrive dans la vie d’une nation où il ne reste plus qu’une alternative : se soumettre ou combattre. Ce moment est arrivé pour l’Afrique du Sud. Nous ne nous soumettrons pas, et nous n’avons pas d’autre possibilité que de riposter par tous les moyens en notre pouvoir, de défendre notre peuple, notre avenir et notre liberté[1]. »

Dans un discours à Durban, plusieurs mois après sa libération, Nelson Mandela étonna l’auditoire par cette supplique :

« Prenez vos fusils, vos machettes et vos couteaux et allez les jeter à la mer ! »

En 1994, le nouveau Parlement, issu des élections du 27 avril, créa par une loi la commission « Vérité et Réconciliation ». Mandela en confia ensuite la présidence à Mgr Desmond Tutu, archevêque anglican du Cap. Au cours des sessions de cette commission, huit mille victimes vinrent raconter ce qu’elles avaient subi ; et sept mille acteurs d’actes de violence ont raconté ce qu’ils avaient fait, cherchant à être amnistiés, mais mille seulement d’entre eux ont reçu l’amnistie, après avoir manifesté un authentique remords. Mgr Desmond Tutu exprimait : « Sans pardon, pas d’avenir, sans confession, pas de pardon. » 

Des amis prêtres sud-africains, victimes de sévices, m’ont raconté ces rencontres uniques au monde. La confiance en Mandela s’unissait à la foi qu’ils portaient au Christ, pour arriver à serrer la main de leurs bourreaux.

Mais Nelson Mandela ne s’arrêta pas au pardon accordé lors de ces rencontres, il poursuivit avec détermination ce chemin de réconciliation, en mettant au monde, avec l’aide des « ennemis d’hier », une nation d’où l’apartheid serait banni, définitivement. 

Dans sa correspondance avec son ancien codétenu Kathrada, il confie :

« Partager l’eucharistie en prison était important à mes yeux. Cela me donnait la paix et le calme intérieur. En sortant des offices, j’étais un homme neuf. »

En 1999, devant le Parlement mondial des religions, Mandela déclare :

« Sans l’Église, sans les institutions religieuses, je ne serai pas là aujourd’hui. […] A l’abord de ce nouveau siècle, nous allons devoir puiser à la source de notre foi. Comme à n’importe quelle époque de l’histoire, la religion aura un rôle crucial à jouer pour guider l’humanité et l’inspirer face aux énormes défis qui l’attendent. »

Stan Rougier
Stan Rougier en visite à Soweto, août 2000

La voix de Nelson Mandela s’est tue, mais son message : « Apprenons à vivre, en nous réjouissant de nos différences, dans une nation arc-en-ciel ! » demeure bien vivant et tellement urgent pour la survie de l’humanité !

Stan Rougier


[1] Plaidoyer de Nelson Mandela au procès de Rivonia, 1964, in L’Apartheid, éd. De Minuit, 2000.