UNE LUMIÈRE SUR LA HAUTEUR
Le cardinal Etchegaray vient d’entreprendre son dernier voyage. Comme le Pays basque est grandi d’avoir été le terreau d’un tel modèle d’humanité ! J’ai connu aussi sa sœur Maïté. C’était bien la même trempe !
Je devrais être triste de la mort d’un ami dont je ne verrai plus le sourire si chaleureux. Je le retrouve sur des albums de photos et je sais qu’il n’est pas parti, qu’il est arrivé. Il est « entré dans la joie de Son Seigneur ». Et je m’en réjouis pour lui et avec lui.
Tout son être était imprégné d’Évangile. S’il était solide, c’était avec la force du Christ. S’il était tendre, c’était avec une tendresse inspirée par sa prière.
À Marseille où il exerça ses débuts d’évêque, il était l’ami des chauffeurs de taxi, des CRS, des petits commerçants, des institutrices, des sans-abris…
Teilhard de Chardin, qu’il citait souvent, écrivait que l’Église était « le plus grand foyer collectif d’amour jamais encore apparu au monde ». Roger Etchegaray, de son côté, rappelait avec ferveur dans une homélie : « L’Église est une réserve de cœurs où tout homme sait qu’il sera accueilli, reconnu, pardonné, non jugé, aimé follement par Dieu. »
Avec l’incendie dramatique du poumon amazonien, aux conséquences incalculables, l’ouragan qui a ravagé les Bahamas, les conflits meurtriers qui perdurent ici et là, l’actualité de la rentrée n’est pas des plus joyeuses… Qui sait si un petit coup de projecteur sur l’un des hommes les plus lumineux de la planète n’apporterait pas une bouffée d’Espérance ?… C’est parfois au moment de son départ définitif que l’on peut évoquer avec le plus de justesse une authentique notoriété.
J’ai approché un certain nombre de cardinaux mais, avec le cardinal Etchegaray, « il y avait entre nous tant d’affinités qui plongent leurs racines dans cette terre “basco-béarnaise” » comme il s’en enchantait lui-même dans l’un de nos échanges épistolaires.
Pendant quarante années, mon ami Roger Etchegaray n’a pas cessé de me surprendre par des facultés rarement réunies chez un même homme. Il était d’une grande fermeté, avec des convictions solides au service de la dignité humaine, de la justice et de la solidarité, et en même temps d’une immense douceur. Par ses diverses missions d’ambassadeur spécial de Jean-Paul II, il était au contact des lieux du monde les plus éprouvés (Irak, Mozambique, Liban, Israël, Rwanda,…) et il maintenait le cap d’une Espérance à toute épreuve. Entre 1964 et 2007, il accomplit cent quarante voyages en serviteur, infatigable, de la réconciliation et de la justice.
Le cardinal Etchegaray fut le maître d’œuvre d’un des événements qui laisseront pour longtemps les plus belles traces dans des millions de cœur : la première Rencontre d’Assise, la première « Journée mondiale de prière ». Il m’y invita. Ma vie en fut changée pour toujours. L’arc-en ciel qui apparut ce 27 octobre 1986 au-dessus des collines d’Assise fut plus qu’un symbole poétique. Désormais les catholiques pouvaient donner du sens à la diversité des religions. L’intolérance est un fléau : « Il faut passer de la mise en regard des doctrines à la mise en relation des personnes », confiait son ami Mgr Teissier.
Roger Etchegaray était d’une profondeur mystique digne de celle d’un autre Basque, Ignace de Loyola, et tout à la fois pétri d’un humour qui en déconcerta plus d’un : sur le mur derrière la chaise de son bureau, il avait accroché un écriteau avec ces mots de Montaigne : « Sur le plus haut trône du monde, tu n’es assis que sur ton derrière. »
Il se sentait de plain-pied avec des chefs d’Etat comme Fidel Castro (qu’il fit pleurer en évoquant sa mère) et des patriarches russes, sans se départir jamais d’une grande humilité. Il aimait répéter que, même dans l’homme le plus perverti, il y avait toujours un petit espace qui rejoignait Dieu.
La langue basque nous fait savoir que son patronyme se traduit par « la maison sur la hauteur ». N’est-ce pas une illustration de cette page d’Évangile : « Une ville située sur une montagne ne peut être cachée… Ainsi votre lumière doit briller aux yeux des hommes pour qu’en voyant le bien que vous faites, ils en rendent gloire à votre Père des Cieux.[1] » Comment mieux définir sa vie ?…
Je ne suis jamais reparti indemne d’une visite que je lui faisais au Vatican ou dans sa maison de famille à Espelette, où habite un de mes neveux, ou lors de pèlerinages.
Je célébrai la messe avec toi, cher Roger, ce matin, en suivant la retransmission de la cérémonie devant mon écran d’ordinateur. J’ai écouté avec bonheur les propos de Mgr Aillet, évêque de Bayonne, du cardinal Mamberti, de l’évêque de Marseille, Mgr Aveline, sans oublier ceux de M. Levillain, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, et de Laurent Nuñez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur.
« Si vous désirez partager votre foi, un seul moyen : témoignez de votre félicité vivante », suggérait Maurice Clavel. Je rends hommage au Pays basque qui permit d’émerger à un tel grand vivant. C’est avec des artisans de paix de cette envergure que le monde peut espérer avancer vers la réconciliation et la fraternité. Tu continueras, cher Roger, à nourrir sans relâche notre enthousiasme avec les mots ardents de tes livres. Dieu te bénit. Je te dis encore toute ma gratitude et ma joie pour tant d’amitié que tu m’as, si simplement, donnée !
Stan Rougier
Prêtre, écrivain, conférencier
[1] Mt 5, 14-15.