Il suffit parfois d’un simple battement d’ailes…


OU : UN SOURIRE PEUT CHANGER UNE VIE
Conférence CPME21  L’EFFET PAPILLON  11 oct 2018 Dijon 

 Le plus humble balayeur de la plus humble entreprise peut découvrir qu’il est fils de Dieu, à égalité avec son employeur, et cela change tout !

Stan Rougier

Une journaliste me désigna récemment comme « un prêtre décalé ». Ce que j’ai peut-être d’original, de « décalé » par rapport à mes confrères, est analogue à l’aventure du pilote Jacques Berthelin…, des circonstances imprévisibles m’ont propulsé sur le devant de la scène par des homélies à France Culture et à la télévision. Cela m’a valu de nombreuses invitations dans des communautés orthodoxes, protestantes, juives, musulmanes, hindoues, bouddhistes… et catholiques bien sûr ! 

L’effet papillon est une image qui peut s’entendre sous des aspects bien différents. Je souhaite seulement souligner la répercussion, impressionnante parfois, de nos gestes les plus infimes, pour le bonheur ou le malheur de nos semblables. « Un sourire peut changer une vie », c’est ce que me confiait une femme désespérée qui fut stoppée dans sa décision de se donner la mort par une poinçonneuse de métro lui disant : « Oh, Madame, comme vous avez une jolie robe ! » Inversement, « La sentinelle est responsable de tout l’empire. » (A. de Saint Exupéry). Le veilleur chargé d’alerter la population à l’approche d’un tsunami s’endort avec une certaine désinvolture et des milliers de personnes qui auraient pu fuir ou être évacuées sont englouties…

Comme un clin d’oeil, le papillon se pose sur la feuille où je suis en train d’écrire – Photo ©Stan Rougier

« Allez-vous en sur les places et sur les parvis ! Allez vers toutes les nations ! », demandait Ieshoua de Nazareth. Je ne suis pas près de laisser tomber la plume ni le micro… Je vois dans l’histoire universelle le plus grand « effet papillon » imaginable. Il y a deux mille ans, un petit rabbin de campagne, crucifié comme le dernier des malfrats pour avoir prêché ce que le Grand Inquisiteur de Dostoïevski appelle : « l’intolérable désordre de l’amour », est devenu l’étoile vers laquelle marchent un milliard huit cent millions d’hommes. 

Sous son influence, la planète est devenue une formidable entreprise de recherche de générosité, la fondation d’une société sans jalousies, sans dominations, sans rejets, sans castes, sans mépris, sans exclus… Le plus humble balayeur de la plus humble entreprise peut découvrir qu’il est fils de Dieu, à égalité avec son employeur, et cela change tout ! 

Ieshoua de Nazareth a inventé l’effet papillon lorsqu’Il a dit : « Le Royaume de Dieu est semblable à la plus petite des graines, appelée à devenir un arbre qui abritera les oiseaux » (Mt 13, 31).

« Vous êtes le sel de la terre » nous dit le Christ (Mt 5, 13). Une pincée infime de sel peut devenir la saveur d’un festin. « Soyez le levain dans la pâte. » Cinq cents grammes de farine ne peuvent pas faire de pain s’ils sont privés de quelques miettes de levain… 

Dans le roman « César Birotteau », Balzac parle de « saints du commerce ». Pour sauver la planète, on a besoin de « saints de l’entreprise ». J’en ai connu un, j’ai eu la joie d’être son ami : Jean Sargueil. Il est mort en 1978 d’un infarctus, d’une overdose d’amour à l’égard des neuf-cent-cinquante ouvriers de l’entreprise Lip en perdition. Avec Jean Sargueil, j’ai découvert le poids des responsabilités des patrons d’entreprise, leur surcharge de travail, leur stress… Cette situation est-elle suffisamment prise en compte en France ?

Vitrail d’une chapelle au Québec – Photo ©Stan Rougier

Vous qui êtes ici, vous n’existez pas avec pour seul horizon le profit, vous existez pour l’augmentation de la créativité et de la fraternité. « Notre monde exige un supplément d’âme » écrivait le philosophe Bergson. 

Dans une école d’équitation, qui s’étonnerait qu’il y ait tant de chutes durant les premiers mois ? De même, si la vie est l’école de la générosité, il est fatal que les soucis des uns soit souvent la dernière préoccupation des autres. « Il faut bien que je vive », interpellait un jour un mendiant. La réponse du passant qui l’abordait fut cinglante : « Je n’en vois absolument pas la nécessité ! ». Les « Bons Samaritains »  seraient-ils donc toujours aussi rares ?…

 Mais il arrive que certains fassent un autre choix. Le choix de chercher la conciliation, le choix d’écouter pour avancer ensemble, le choix d’un respect mutuel à tous les niveaux… Je ne fais pas ici l’apologie d’un monde de bisounours. J’en appelle seulement à plus de sagesse. « J’ai mis devant toi la mort et la vie, choisis la vie ! » nous crie Dieu au livre du Deutéronome (ch. 30). 

Dans une entreprise où le salarié n’a pas son minimum vital de reconnaissance, la peur peut paralyser ses talents. Tandis que, si chacun de ceux qui collaborent à la vie de l’entreprise est considéré avec le respect de sa dignité, valorisé dans son travail,  – parfois une simple phrase, un simple sourire et le travailleur se sent reconnu, apprécié –, on assiste à une diminution spectaculaire des arrêts-maladie… un bénéfice net pour l’entreprise. Les rapports avec le patron et ses salariés sont humanisés. Le personnel ne vient plus, en maugréant, seulement « gagner sa vie », mais il vient vivre, participer avec enthousiasme et fierté à une belle œuvre collective. « Tous pour un, un pour tous ! » Et voilà qui changera en profondeur l’entreprise et, en conséquence, les rapports sociaux…

Enfants du Népal – Photo ©Stan Rougier

À l’opposé, quelques mots, un petit oubli, une petite désinvolture et les efforts de transformation mis en œuvre à plus grande échelle peuvent se trouver ruinés… Qui pourrait ignorer que foisonnent aujourd’hui encore les entreprises où, d’un côté, on n’entend pas les droits des salariés, de l’autre on arrache la chemise du patron ?… Peut-on tirer bénéfice de cette multiplication des conflits ? Où rien ni personne ne sortira indemne…

Je reviens pour finir sur les propos de celui que nous croyons connaître et que nous connaissons si mal : « le Nazaréen », le divin lanceur d’alerte, celui qui, comme le présente Antoine de Saint Exupéry, « s’est émerveillé de l’homme ». Il s’est émerveillé, mais il s’est indigné aussi, devant tout ce qui était déshumanisant. « Vous filtrez le moustique et vous avalez le chameau » reprochait-il aux arbitres de la société (scribes), et aux gardiens des lois (pharisiens). Vous êtes obsédés par des détails sans importance et cela vous permet de cacher l’essentiel sous le tapis. » L’essentiel, il le désigne par trois mots hébreux : Emet, Tsadaka, Rahamim. (Authenticité, Justice, Compassion). « Imaginez un monde où tout serait régi par l’amour !… » s’enflammait tout récemment le révérend Michael Curry au mariage du prince Harry et de Meghan Markle. Plus de deux milliards d’humains ont entendu ce message.

J’ai repris ce soir, des intuitions que j’avais développées dans la revue « Professions et entreprises », il y a une quarantaine d’années. Cet article avait eu pour origine la rencontre d’un grand patron et du jeune séminariste que j’étais qu’il venait de prendre en auto-stop… 

Stan Rougier

Prêtre, conférencier, écrivain